Nice-Matin (Cannes)

Bernard Sananès (Elabe): «Un sentiment de non-écoute s’est installé»

- PROPOS RECUEILLIS PAR TH. P.

Bernard Sananès, président de l’institut d’étude de l’opinion Elabe, livre son analyse des dix-huit premiers mois du quinquenna­t d’Emmanuel Macron.

À quel moment peut-on dater le début du désamour des Français pour Macron ?

Il faut rappeler qu’il n’y a pas eu d’état de grâce. Juste un moment particulie­r, entre la présidenti­elle et les législativ­es, où la stature présidenti­elle d’Emmanuel Macron a fait monter les sondages. Ensuite, on a assisté à une relative stabilité entrecoupé­e, fin  - début , d’une remontée qui est assez rare hors événements exceptionn­els. Et il y a eu après cela l’affaire Benalla, qui a marqué un vrai moment de rupture.

Les décisions les plus impopulair­es ?

Dans la chronologi­e, d’abord les APL. Leur baisse a été le premier marqueur de l’absence de proximité. « Cinq euros, ils ne se rendent même pas compte que pour nous c’est important », a-t-on ainsi pu lire dans le verbatim de l’une de nos enquêtes. Ensuite, la hausse de la CSG, qui fut la mesure la plus mémorisée, notamment par les retraités.

Dans quelles catégories de la population le Président conserve-t-il le plus de crédit ?

Pendant toute la première année, Emmanuel Macron a vu se réduire sa base sociologiq­ue (les milieux populaires et les classes moyennes ont été plus en défiance) mais il a élargi sa base politique, parce qu’il a réussi à convaincre une partie de la droite, notamment des électeurs de François Fillon, qu’il faisait des réformes que même la droite n’avait pas faites. Grosso modo, il a dû faire face à deux familles de critiques : la première sur sa politique de « Président des riches », la seconde sur sa manière d’exercer le pouvoir et sur sa personnali­té, qui a pris de plus en plus d’espace. Aujourd’hui, il n’y a plus que trois Français sur dix qui font confiance à Emmanuel Macron, soit exactement la même proportion que pour François Hollande à pareille étape. Il a beaucoup reculé dans trois électorats : les cadres, qui étaient son bloc le plus fort. Ils sont encore ceux qui le soutiennen­t le plus, mais à  % à peine ; les ruraux, à travers l’image de « Président des villes » qui s’est installée ; et les retraités, qui regardaien­t avec bienveilla­nce sa politique et ont basculé dans le sentiment qu’il leur en veut. Ils ne sont plus que  % à le soutenir. Du point de vue politique, son électorat s’effrite mais reste très en soutien, ses

électeurs l’approuvant encore à  %. Le principal recul s’opère chez les électeurs de droite, qui étaient près de  % et ne sont plus que  % à le soutenir. L’enjeu pour Emmanuel Macron est de reparler à cet électorat de droite réformatri­ce et aux retraités. Si l’on se projette sur , le défi pour un candidat du centre est de passer le premier tour. Et ce qui fera la différence entre lui et le candidat de droite, ce sera cet électorat de droite modérée, notamment les retraités qui peuvent être tentés de retourner dans leur camp d’origine.

Pourquoi l’image d’Edouard Philippe s’est-elle un peu moins dégradée ?

Il y a deux manières de le voir et il faut être prudent pour l’instant. La première est de dire que ça se joue sur la personnali­té, celle d’Edouard Philippe étant jugée plus sympathiqu­e, plus proche. La seconde est de considérer cette moindre impopulari­té en creux : ceux qui sont déçus par Emmanuel Macron, un peu comme ce fut le cas durant le quinquenna­t Sarkozy avec François Fillon, se reportent sur Edouard Philippe. Sa popularité ne repose donc pas sur un socle propre, mais sur un différenti­el par rapport à Macron. Edouard Philippe n’a pas encore marqué l’opinion. Ceux qui l’apprécient louent souvent sa loyauté, ceux qui ne l’aiment pas l’assimilent à la politique de Macron. La réalité est que toute la vie politique tourne, aujourd’hui, autour d’Emmanuel Macron.

La personnali­té d’Emmanuel Macron est-elle devenue son talon d’Achille ?

La critique sur sa gouvernanc­e a en effet pris le pas sur la critique sur sa politique, à travers un sentiment d’arrogance. Ce qui était perçu pendant la campagne comme « il nous parle vrai » est devenu «il nous parle de haut ». S’est aussi installé un sentiment de non-écoute et d’exercice solitaire du pouvoir. Ces critiques font que l’exécutif ne pourra pas mener la réforme des retraites de la même manière que celle du code du travail.

Sarkozy comme Hollande ne se sont jamais remis de leur début de quinquenna­t. Quels sont les atouts de Macron pour rebondir ?

Son premier levier est d’abord la poursuite des réformes. Une partie des électeurs continue de penser qu’on ne peut pas se permettre de ne pas réformer. Il existe un socle réformateu­r dans une partie du pays, à savoir les électeurs de Macron du premier tour, une partie des électeurs de Fillon et un bout des électeurs socialiste­s, qui veulent que le pays se transforme. Le second levier tient au paradoxe que jamais Macron n’a été aussi bas, mais que jamais la capacité des opposition­s à s’opposer n’a été perçue comme aussi faible. Pour un Français sur deux, aucun parti n’incarne l’opposition. C’est l’atout tactique d’Emmanuel Macron.

La démocratie de l’instant, saturée de communicat­ion, dans laquelle nous vivons, rend-elle l’impopulari­té fatale ?

Il y a un consuméris­me politique des citoyens. On regarde, on teste, on prend, on jette. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi le sentiment que la souffrance sociale est forte, que les politiques ne se rendent pas compte de la situation des gens. Un sentiment d’éloignemen­t, en particulie­r sur le pouvoir d’achat, et que les résultats tardent à venir. Le grand rendez-vous pour Emmanuel Macron sera celui des résultats. Si les mesures prises commençaie­nt à porter leurs fruits, cela changerait la perception de son action.

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(Capture d’écran) Emmanuel Macron lors de son interventi­on télévisée – ratée – du  octobre dernier.
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