Nice-Matin (Cannes)

FOOTBALL Anin : « Cela m’a plus

L’ancien milieu de terrain de l’OGC Nice, âgé de 31 ans, nous a reçus chez lui, au Havre. Cinq ans après le terrible accident qui lui a coûté l’usage de ses jambes, on a retrouvé un homme apaisé

- VINCENT MENICHINI, AU HAVRE

C’était dans la nuit du  au  juin , à une centaine de kilomètres du Havre, son cocon, son tout. Un accident terrible, une voiture sur le toit et un destin brisé. Kévin Anin rentrait d’une virée à Amsterdam entre potes. Il aurait dû être en Thaïlande... Ou l’histoire d’un footballeu­r pas comme les autres, à l’étroit dans un milieu qu’il n’a jamais supporté et qu’il ne regrette pas. Ejecté de la banquette arrière, l’ancien milieu de l’OGC Nice est victime de fractures aux bras et à la colonne vertébrale. Après dix jours de coma, les médecins l’informent qu’il ne marchera plus. Il encaisse, d’abord, puis craque, pleure, des heures durant, en veut à la terre entière. A  ans, sa vie ne sera plus jamais la même. « Je savais qu’il allait m’arriver quelque chose », a-t-il confié lors de l’entretien bouleversa­nt, déroutant et parfois hilarant qu’il nous a accordé. La semaine dernière, cinq ans après le drame, on a retrouvé Kévin Anin chez lui, à Edreville, dans la proche banlieue du Havre, en compagnie de Didier Digard, son ami depuis l’époque du centre de formation qui ne l’a jamais lâché. Il y avait Tess, avec qui il s’est marié cet été après plus de dix ans de vie commune, Nathalie, la mère-courage, qui ne manque pas une occasion de lui démêler ses tresses, Samir, un ami, ses deux neveux, les cinq enfants de Didier Digard et ses trois énormes chiens. Il y avait de la vie, des sourires, du partage et beaucoup d’émotion. « Tu es vraiment venu juste pour moi ? » nous a lâché Anin, visiblemen­t touché par l’attention. Pendant près de trois heures, Anin,  ans, a ouvert son coeur. Il ne voulait plus que ça s’arrête. « Allez, on continue l’interview, je veux encore parler de Nice », nous a-t-il lancé, alors qu’on était prêt à couper le micro. Le voir, c’est y croire, se dire que la vie est belle, malgré tout. C’est aussi un formidable voyage dans l’espace parce que Kévin Anin n’a pas tout à fait changé. L’ordinaire, ce n’est pas lui, ce qui lui a sans doute permis d’accepter qu’il ne serait plus jamais debout. « J’étais préparé. Dans le foot, je n’étais pas à ma place. Bon, je ne le suis pas non plus sur mon canapé (sourires) .» Kévin, avant toute chose, comment est votre moral ? Ça va tranquille­ment, grâce à Dieu. Je fais un peu de muscu. Dès qu’il fait beau, je vais à l’extérieur ou dans la piscine chauffée. Je peux me balader avec mon buggy, j’ai une petite autonomie. Mes petits neveux sont là, ma mère, ma femme… Ça fait cinq ans, déjà, je me suis adapté. Un peu…

On finit par accepter le handicap ?

(Il marque une pause)… C’est chiant parfois ce manque de spontanéit­é, de me dire que je ne peux pas faire certaines choses sans aide. Si je veux me lever pour un truc, ben je ne peux pas…

Il y a eu des hauts et des bas depuis votre accident…

Au début, surtout, mais pas tant que ça. Cela aurait pu être pire. J’ai surpris pas mal de gens. Dieu est grand…

Joueur, vous étiez plus instable émotionnel­lement ?

C’est dur de le reconnaîtr­e mais oui. Je me suis débarrassé d’un poids, je le vois comme ça. J’étais préparé à tout ça, j’avais les armes pour m’en remettre. C’était écrit.

Vous sentiez qu’il allait vous arriver quelque chose ?

Oui, oui… Je disais souvent à certaines personnes que j’allais mourir. Je le sentais. C’était bizarre, très étrange comme sentiment. Et il m’est arrivé ça.

Vous ne regrettez pas votre vie d’avant ?

Oui, mais c’est l’humain qui est ainsi. J’avais déjà anticipé tout ça. J’aurais aimé être différent en tant que joueur, être plus libéré, moins torturé. Je ne recherche que des bonnes ondes désormais. J’ai pris beaucoup de recul, de maturité depuis l’accident. Cela m’a plus aidé que desservi.

Qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir aujourd’hui ?

Passer du temps avec ma famille. Je suis là, apaisé, à % avec eux. Après, tu sais, je n’étais pas blingbling et je ne le suis pas devenu. Cela ne m’a jamais

fait rêver.

Les personnes qui vous entourent ne sont plus là par intérêt...

Cela m’a en partie soulagé. Je ne supportais pas les opportunis­tes, les jaloux, d’être reconnu en tant que joueur de football. Je pensais que ça allait être fini mais non ! Quand je sors, je ne suis pas une personne lambda. Je suis Kévin Anin dans son fauteuil. J’aurais aimé être un anonyme. La notoriété, ce n’était pas pour moi. Si le football avait existé sans les caméras, j’aurais été champion du monde (rires). C’est certain. Au final, je n’ai jamais exprimé tout mon potentiel.

C’était une souffrance d’être sur un terrain ?

Je le cachais, mais oui… Je manquais de confiance, je n’osais pas percuter alors que c’était l’une de mes qualités. J’avais une sensibilit­é extrême. Si je n’étais pas complèteme­nt libéré, je ne pouvais pas m’exprimer sur le terrain. Le regard des autres, ça me perturbait. Je n’assumais pas, je me suis renfermé... Je ne regardais jamais dans les tribunes, même s’il y avait ma mère. Et puis, il y a tellement peu de sincérité dans ce milieu. J’ai perdu très tôt la flamme.

Qu’est-ce qui vous fait souffrir désormais ?

Peu de chose… J’étais préparé. Je suis moins tourmenté. Dans le foot, je n’étais pas à ma place. Bon, je ne le suis pas non plus sur mon canapé (sourires). Après, quand je regarde mes petits neveux, j’ai envie de pleurer parfois car j’aimerais jouer avec eux, leur apprendre des trucs.

Vous êtes optimiste ?

Bof… Quand je vois ce qu’il se passe dans le monde…

Et sur vos chances de remarcher un jour ?

C’est plutôt ma mère, mes proches qui regardent ce qu’il se fait dans le domaine. Je vis entre la crainte et l’espoir. Il faut y croire mais si je ne remarche pas, c’est que l’histoire était écrite ainsi, que ce n’est pas forcément un mal pour moi. J’ai marché, je sais ce que c’est. Tu me dis maintenant : « Viens, on va marcher  kilomètres ! » J’y vais direct. Ce n’est pas certain que je l’aurais fait avant. On reste des éternels insatisfai­ts. Si je retrouve mes jambes, je ferai plus de choses, c’est sûr.

La religion, ça aide ?

J’ai toujours été croyant, mais je le suis davantage. Il ne faut pas se voiler la face, se poser les bonnes questions, savoir ce qui est bon, ce qui ne l’est pas. Il y aura des phases plus complexes, des moments où tu te dis “Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir mes jambes !” Il m’arrive d’oublier que je ne peux pas être debout, que je ne peux pas descendre seul d’une voiture. Je trouve ça marrant. J’ai même parfois la sensation que je cours.

Auriez-vous préféré mourir ?

(Direct) Non, jamais. Il y a plein de choses que je ressens différemme­nt. J’ai des sensations que tu n’as pas. Ma femme me fait des massages chaque soir, c’est incroyable ce que ça peut me procurer. Uriner, c’est complèteme­nt différent aussi. Moi, ça me fait des frissons dans tout le corps. Je ne suis pas comme les autres mais t’inquiète...

C’est quoi votre quotidien ?

En ce moment, je me lève tard. Parfois, ça me manque de ne pas aller à l’entraîneme­nt le matin. J’ai fait des séances avec des kinés mais j’ai arrêté. Il faut un spécialist­e dans le handicap, qui sait me prendre. Je suis bizarre, ce n’est pas évident d’entrer dans mon quotidien. Je joue à la play, je regarde des séries, des reportages (Faites entrer l’accusé notamment)...

Vous vous êtes marié cet été?

Oui. Ma femme est très présente. Elle était là avant (l’accident). Cela fait treize ans que je suis avec elle. Beaucoup seraient partis (rires).

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Kévin Anin s’est longuement confié à Nice-Matin.

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