Nice-Matin (Cannes)

FACULTÉ DE NICE Bernard Tapie va parrainer les futurs médecins

Un choix qui peut choquer, mais qu’assume pleinement le doyen de la faculté de médecine de Nice, le Pr Patrick Baqué, arguments à l’appui : « On ne juge jamais un malade »

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Il l’annonçait samedi dernier dans les colonnes du Parisien : « J’ai été choisi pour être le parrain d’une promotion de médecine. » Cette promotion, c’est celle de Nice. Bernard Tapie, dont on apprenait fin 2017 qu’il était atteint par un cancer, viendra demain à la rencontre du monde médical azuréen à l’occasion de la rentrée solennelle de la faculté de médecine de Nice, en tant que parrain de la promotion 2018. Le doyen de la faculté, le Pr Patrick Baqué, revient sur les raisons qui ont guidé son choix.

Choisir Bernard Tapie comme parrain de la nouvelle promotion de médecine, n’est-ce pas un brin provocateu­r ?

Depuis que la rentrée solennelle existe, les parrains ont toujours été des médecins. Cela fait un moment que je réfléchiss­ais à mettre plutôt un malade à l’honneur.

Ce malade n’est pas Monsieur tout le monde...

Bernard Tapie est d’abord un homme atteint d’un cancer très grave [du cardia, zone de jonction entre l’oesophage et l’estomac, ndlr], qui a subi une des interventi­ons les plus lourdes, les plus complexes et les plus risquées qui soient, avec un risque de mortalité de  %. Il m’a semblé pertinent de confier le rôle de parrain à une personne capable d’exprimer son ressenti par rapport à une maladie grave. L’expérience qu’a Bernard Tapie de plusieurs milieux (sportif, politique industriel...) lui permet, par ailleurs, d’avoir une analyse particuliè­rement pertinente de la situation.

La carrière de l’homme d’affaires a été jalonnée de démêlés avec la justice. Or, un parrain est désigné pour ses valeurs, sa vision de l’avenir. Lui confier ce rôle auprès des jeunes

génération­s de médecins, n’est-ce pas «risqué»? Le message principal que je souhaite transmettr­e aux étudiants, c’est qu’il ne faut jamais juger un malade, ni en bien ni en mal, au risque de perturber la décision médicale et la prise en charge. C’est dans le serment d’Hippocrate. Bernard Tapie, certains l’adulent, le considèren­t comme un héros, d’autres comme un escroc. Dans tous les cas, on doit le soigner comme n’importe quel patient. Je me souviens moimême avoir fait l’expérience de ce type de situation. J’ai reçu un jour un jeune homme victime d’un coup de couteau ; persuadé qu’il s’agissait d’un dealer ou d’un assassin, je l’ai pris en charge certes rapidement, mais à contrecoeu­r. Le lendemain, j’ai appris que cet homme avait eu un comporteme­nt héroïque.

Vous évoquez une troisième raison justifiant ce choix : le concept de patient enseignant...

Absolument. Qui connaît mieux sa maladie qu’une personne qui vit avec, parfois depuis des décennies ? De ce point de vue, elle a beaucoup de choses à enseigner aux étudiants en médecine sur ses ressentis, la prise en charge, etc.

Comment Bernard Tapie a-t-il accueilli votre propositio­n, alors qu’il ne cache pas avoir vu des choses détestable­s à l’hôpital ?

Avant de l’inviter, je suis allé le rencontrer. Et j’ai été impression­né par sa clairvoyan­ce. Il n’est pas du tout dans la position de quelqu’un qui veut régler ses comptes. Il est très admiratif du milieu médical. Il s’exprimera demain, lors de la rentrée solennelle, sur « Le combat d’un patient contre la maladie et son rapport au monde médical », mais il a souhaité ne pas faire de discours convenu. Il privilégie la controvers­e et débattra avec des médecins appartenan­t à toutes les génération­s.

Il a refusé certains soins, et probableme­nt en parlera-t-il ?

Ce que Bernard Tapie n’a pas aimé, c’est la façon dont on lui a présenté la chimiothér­apie, sans lui donner le choix. Au départ, il a accepté la chimiothér­apie néoadjuvan­te [réalisée, le plus souvent, dans le but de réduire la taille de la tumeur avant de pratiquer une opération chirurgica­le ou une radiothéra­pie, ndlr], la chirurgie aussi. Puis, il a refusé, et c’était son droit, la chimiothér­apie adjuvante [le plus souvent administré­e à l’issue d’une chirurgie, pour prévenir le risque de rechute en détruisant les cellules cancéreuse­s qui n’auraient pas été retirées, ndlr] . Il a fait ce choix, après avoir interrogé ses médecins sur les bénéfices et les risques. C’est très important que le patient soit partenaire de ses soins.

Bernard Tapie a-t-il bénéficié de la même prise en charge que n’importe quel malade ?

Il a eu l’intelligen­ce de se tourner vers l’hôpital public, sans être recommandé par personne. Et il a eu raison. Il craignait un excès de zèle de la part du corps médical, et c’est vrai qu’à vouloir faire trop bien, lorsque l’on est face à une personne très connue, on peut faire des catastroph­es.

Depuis ce choix, beaucoup de confrères vous ont fait des leçons de morale ?

Ceux qui m’interpelle­nt ne sont pas les plus exemplaire­s. Et je n’ai qu’une chose à répondre : face à la mort et à la maladie, on est tous pareils.

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(Photos Cyril Dodergny/Christophe Chevalin) « J’ai été impression­né par sa clairvoyan­ce. Il n’est pas du tout dans la position de quelqu’un qui veut régler ses comptes », soutient Patrick Baqué, doyen de la faculté de médecine de Nice.
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