Nice-Matin (Cannes)

FOOTBALL « On voulait comprendre »

Antton Rouget a révélé pour Mediapart les secrets du président Rybolovlev et de l’ASM

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN PIGALLE

Les Football Leaks n’ont pas épargné l’AS Monaco déjà très mal en point en championna­t (e de L). Depuis  jours, Mediapart publie une enquête en huit chapitres sur l’ASM et son président Dmitri Rybolovlev. Le dernier volet, cet après-midi, portera sur les relations entre l’AS Monaco et les instances françaises du football. Commission­s d’agents, recrutemen­t de joueurs mineurs, Fair-Play Financier, jeu d’influences en Principaut­é, l’enquête révèle les arcanes du football moderne. Souvent à la limite de la légalité, parfois en dehors des clous, ces révélation­s montrent surtout à quel point le flou juridique entoure le monde du foot où les règles sont visiblemen­t faites pour être contournée­s. Antton Rouget,  ans, est l’un des deux journalist­es à avoir travaillé sur cette enquête. Des révélation­s qui s’appuient sur des documents obtenus par une source tenue secrète. «La plus grande fuite de l’histoire du journalism­e », comme on peut le lire en préambule sur le site d’informatio­n.

Comment avez-vous procédé ?

On travaille depuis le er juin dans l’équipe des Football Leaks. Nous sommes trois à Médiapart. Avec Michel Henry, nous avons travaillé sur le volet Monaco et l’ASM. Quand on analyse un Leak, on essaye de détecter les grands ensembles et les sujets qui peuvent être sortis. Football Leaks, c’est en tout  millions de documents. Pour Monaco, on va dire qu’il y en a eu plusieurs dizaines de milliers. On s’est appuyé sur quelques centaines jugés intéressan­ts pour l’intérêt général. Ce sont des mails, pdf, vidéos, fichiers excel, word etc. Très rapidement, on a vu qu’il y avait beaucoup d’éléments sur l’AS Monaco. À partir de là, au fur et à mesure, on a resserré nos recherches, regardé ce qui valait la peine d’être raconté. Tout n’est pas intéressan­t.

Pourquoi Monaco est revenu autant de fois dans vos recherches ?

Pour être honnête, nous faisons avec les documents en notre possession. Monaco, ou le PSG sont des clubs d’une grande notoriété, il était nécessaire pour nous de regarder dans leurs directions. Nous avions des éléments très intéressan­ts sur le fonctionne­ment de l’AS Monaco qui a en plus la spécificit­é d’avoir un propriétai­re (Dmitri Rybolovlev) aux ambitions

atypiques, via le championna­t de France de L. Comme on l’a raconté pour le Qatar via le PSG. On a voulu montrer qu’avoir un club en Principaut­é, était pour Dmitri Rybolovlev une arme d’influence.

Mais l’AS Monaco a-t-elle été “piratée” plus qu’un autre club ?

Je comprends ce questionne­ment. Mais pour être franc, on n’a pas de contact direct avec la source. On ne sait pas comment elle a obtenu ces documents, ni pourquoi certaines institutio­ns ou clubs sont concernés plus que d’autres. Notre boulot à nous, c’est de vérifier et d’authentifi­er les documents, et de penser à l’intérêt général de nos révélation­s. L’intérêt général, c’est notre principale occupation. Pour l’AS Monaco, via son propriétai­re, on sort du monde du football. C’est pour cela qu’on a rencontré des proches du président, récupéré des documents judiciaire­s de plusieurs pays, travaillé avec d’autres confrères étrangers etc. On ne voulait pas effleurer le sujet, et c’est pour cela que nous avons sorti huit épisodes sur ce thème “Rybolovlev, l’homme qui voulait s’offrir un pays”.

Le plus difficile ?

La phase de recherche. C’est un travail ingrat et fastidieux au début. On se rend compte ensuite que M.Rybolovlev est quelqu’un d’extrêmemen­t secret, qui cloisonne tout. C’est ce qui fait sa puissance. Le plus dur pour nous a donc été de pénétrer ce milieu, rencontrer des gens qui voulaient bien nous rencontrer. C’était passionnan­t, mais complexe.

Dmitri Rybolovlev suscite-t-il la crainte autour de lui ?

Disons qu’il cloisonne beaucoup. Il a beaucoup d’activités différente­s, des investisse­ments dans plusieurs pays, dans tous les milieux, et avec plusieurs personnes qui travaillen­t pour lui, tout en restant dans le contrôle permanent. On voulait comprendre cet ensemble. On parle d’intérêts économique­s et financiers énormes. Donc oui, les gens qui sont dans ce milieu-là sont très peu disposés à en parler.

Le club a-t-il joué le jeu ?

Oui, il faut le souligner car ce n’est pas toujours le cas dans nos enquêtes. Certaines fois, des personnali­tés ou des clubs refusent de répondre à nos questions. L’ASM l’a toujours fait, mais quand nos questions étaient très précises, les réponses l’étaient beaucoup moins. Ils se contentaie­nt de répondre de manière générale, disons. Comme sur les contrats avec les agents par exemple. Même constat pour le personnel politique monégasque que nous avons interrogé : ils ont répondu. Nous avons eu l’entretien avec le Prince qui a ainsi pu nous exposer sa vision.

Il vous a sollicités ?

Non, c’est nous. Il est très important pour nous de donner la parole à toutes les parties. On le fait très en amont. Environ un mois avant, parce qu’on sait que ce sont des questions lourdes, précises etc. Il est très important de laisser du temps à ces personnes de faire des recherches, afin de nous répondre précisémen­t.

Qui n’a pas souhaité s’exprimer ?

Plusieurs personnes mais disons que M. Rybolovlev et Mme Bersheda (son avocate) ont préféré faire des déclaratio­ns courtes et globales. On regrette qu’ils n’aient pas pu répondre à des points précis...

Des institutio­ns ou des juges se sont-ils tournés vers vous pour débuter des enquêtes ?

Non. On suit les réactions à nos publicatio­ns, comme tout le monde. On a appris l’ouverture d’une enquête préliminai­re sur le fichage ethnique au PSG. Concernant le recrutemen­t des mineurs à Monaco, on a vu que la Ligue de football profession­nel et la Fédération souhaitaie­nt mener également une enquête. Est-ce que les différents sujets que nous avons soulevés seront suivis d’enquêtes disciplina­ires ou pénales ? Ça, nous n’avons pas d’échos.

On a l’impression que vos enquêtes apportent un éclairage nouveau, mais qu’il y a finalement peu de choses répréhensi­bles au sens juridique du terme. Qu’en pensez-vous ?

Concernant nos révélation­s, on fait attention à ne pas porter un esprit judiciaire. Que ce soit clair : on ne juge pas de la qualité d’une enquête à Mediapart par le sceau de la justice. On n’est pas là à se dire, c’est illégal, on raconte ; ça ne l’est pas, on ne raconte pas. Nous trouvons d’ailleurs qu’il y a une judiciaris­ation à l’extrême des affaires. Il y a des choses qui peuvent nous paraître très graves au-delà la loi, mais ce n’est pas à nous de qualifier les faits. On est là pour raconter ce qu’il se passe. Après, c’est vrai que le monde du foot a ses propres règles, et certains les contournen­t. Les mêmes personnes qui ont édicté les règles du Fairplay financier par exemple, négocient pour les contourner. Dans le monde du foot, les règles et leurs applicatio­ns sont très variables. À l’inverse, les modes d’actions des institutio­ns sont assez limités. J’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment de garde-fou ou de force de rappel. Normalemen­t quelqu’un est là pour rattraper les choses quand tout dérape. Ce n’est pas le cas. Il y a une fuite en avant du foot business et c’est ce que nous avons voulu documenter.

Parfois la morale est plus importante que la règle ?

Clairement. Comme quand on interroge M.Vasilyev sur les % qu’il touche sur les plus-values des transferts. On a interrogé la Ligue, le club, etc, pour comprendre et savoir si le mécanisme est légal ou pas, sans qu’on se prononce là dessus. Mais au-delà de ça, pour nous, cette informatio­n éclaire sur la stratégie sportive et commercial­e du club ces dernières années. C’est essentiel pour les supporters et pour ceux qui suivent le foot de comprendre comment tout ça est géré en interne. Hier, Mediapart révélait dans l’avant-dernier volet de l’enquête Football Leaks sur l’ASM, que le vice-président de l’AS Monaco,Vadim Vasilyev, a fait ajouter un avenant à son contrat depuis 2013 où figure un intéressem­ent de 10% sur toutes les plusvalues des ventes de joueurs. Les moins values sont déduites. Rien d’illégal. Ainsiàl’été2017,l’ASM,qui avenduquat­re stars (Tiémoué Bakayoko, Kylian Mbappé, Benjamin Mendy et Bernardo Silva), réalisait une plus-value de 286 millions d’euros. Soit une commission de 28,6 millions pour le directeur général, qui sera versée en plusieurs fois, au fil des versements des clubs acheteurs (selon Médiapart).

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(Photo DR) Antton Rouget.

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