Nice-Matin (Cannes)

Dans le ventre du piano, l’exode

Avec J’ai oublié le piano dans la maison de Mostaganem, Jacqueline Bellido revient, demain, au Palais des congrès, sur l’histoire des Français arrachés à leur terre...

- PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT BELLANGER vbellanger@nicematin.fr

Encore aujourd’hui cela reste un sujet tabou, délicat à aborder : la guerre d’Algérie ou l’exode, à l’été 62, d’un million de Français, arraché à une terre. Jacqueline Bellido suscite les émotions de cette période avec sa pièce J’ai oublié le piano dans la maison de Mostaganem. Loin de tout jugement, l’auteur invite – demain, à 15 h 30, au Palais des congrès – les spectateur­s à plonger dans le ventre du piano, mémoire de ce passé et dans l’intime de chacun avec tendresse.

Pourquoi avoir écrit cette histoire ?

C’est une pièce que je portais depuis longtemps et que j’avais envie de faire. C’est une oeuvre compliquée qui m’a demandé du temps à écrire. Car pour raconter cette histoire, il fallait vraiment que je sorte du circuit habituel qui est souvent fermé. Car un jour, tous ces gens qui ont vécu l’exode vont mourir et alors, personne ne pourra raconter…

C’est une forme de témoignage ?

C’est plus qu’un témoignage. C’est une invitation à entrer dans une histoire par une petite porte. Bien sûr, les Pieds-Noirs, les Arabes, les petits soldats de France, tous ceux qui ont vécu ça, sont les héros de cette histoire. Et en voyant la pièce, ils vont reconnaîtr­e beaucoup de choses. Ils vont rire, ils vont pleurer… Mais je souhaite aussi que ceux qui n’ont pas connu cette période puissent la découvrir. J’ai voulu que tous les gens qui n’ont pas connu cette histoire puissent y rentrer tout simplement et surtout pas, par la porte d’un récit “en fin de vie”. J’ai voulu donner à cette pièce une portée universell­e.

Pourquoi évoquer ce sujet ?

Je suis Pied-Noir d’origine, j’ai vécu l’exode étant enfant.

Un sujet toujours d’actualité ?

Tout à fait. C’est toujours un sujet d’actualité avec les migrants. C’est exactement la même chose sauf que les migrants actuels, non pas de papier, et risquent d’être renvoyés dans leur pays. Les Pieds-Noirs, eux, avaient un passeport, des papiers en règle, par contre, ils avaient la certitude qu’ils n’y retournera­ient pas.

Quel message avez-vous voulu faire passer ?

Les Pieds-Noirs n’ont pas pu “guérir”, leur histoire est restée en parenthèse avec l’impossibil­ité de la refermer. On parle beaucoup de repentance, mais jamais pour les Pieds-Noirs. Ils restent ces personnes qui ont fauté… Ce sont pourtant des gens qui sont partis en Algérie avec la gloire sur eux parce que l’État français les remerciait de partir dans cet endroit difficile. Et ils sont revenus avec l’opprobre sur eux. On demande beaucoup pardon aux Harkis, – qui ont été les dindons de la farce –, mais jamais aux Pieds-Noirs. Je ne veux pas de polémique, ni de politique. Je ne veux pas non plus de misérabili­sme ou de pitié. Je souhaite donner les moyens aux spectateur­s d’éprouver à travers cette histoire des choses qu’ils peuvent connaître, dont ils peuvent s’identifier et s’approprier.

Vous plongez dans l’intime…

Exactement car à partir de là, on peut dire des choses que l’on a tues. Ce million de gens qui sont rentrés en France, n’ont pas pu dire ce qu’ils avaient à dire. Ils n’avaient aucune chance d’être entendu. Au-delà de tous les clivages, j’ai voulu donner à ceux qui ont connu cette guerre, comme ceux qui ne l’ont pas connu, une opportunit­é d’échapper un moment aux récits historique­s pour éprouver la “brûlance” de la réalité de cette histoire. Je veux que ce soit à un partage entre toutes les génération­s ou tous les protagonis­tes. Car malgré tout et malgré la violence, c’est une histoire d’amour. C’est ça que les Français de France n’ont pas compris et qu’ils ne comprendro­nt jamais.

Le piano joue un rôle central...

En effet, c’est un personnage à part entière, on le fait parler, on le fait bouger. En Algérie, beaucoup de personnes avaient un piano. Il avait beaucoup d’importance. Et tous ces gens ont dû le laisser. Et laisser un piano, c’est une grande douleur. Dans son ventre sont enfermées toutes ses émotions.

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(DR) A découvrir demain au Palais des congrès.

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