Nice-Matin (Cannes)

Général de Villiers : « Il y a une crise de l’autorité »

Auto-démissionn­é de son poste de chef d’état-major des armées après le différend avec Emmanuel Macron, Pierre de Villiers signe son second livre pour expliquer ce qu’est un « chef »

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Ne l’appelez plus « général » ! Pierre de Villiers a beau avoir tiré sa révérence de chef d’état-major des armées en présentant sa démission à Emmanuel Macron en juillet 2017 à la suite d’un désaccord sur le budget de la Défense, le titre demeure. « Général d’armée » surplombe d’ailleurs en lettres capitales son nom en couverture de Qu’est-ce qu’un chef ? (Éd. Fayard). Son nouveau livre sort quasiment un an jour pour jour après Servir, succès de librairie qui éclairait son claquage de porte fracassant – et inédit sous la Ve République ! – du ministère des Armées. Depuis, fort d’une expérience de quarantetr­ois ans de vie militaire, celui qui garde pour toujours des liens fort avec l’arsenal de Toulon, prodigue des conseils en management – de la PME aux géants du CAC 40 – via sa propre société. Et écrit. Au moment où notre société est traversée par une crise de sens, de confiance, avec un Président en chute libre dans les sondages, voici donc le frère cadet de Philippe de Villiers qui passe au prisme de son expérience, de ses « tripes » et de ses « conviction­s », ce que se doit d’être un «chef» . Que ce soit de l’État, de l’équipe de France de football ou... de famille.

Le « bon chef » est suivi parce qu’il est aimé dites-vous ; mais être chef, c’est aussi trancher au risque de déplaire. Comment résoudre cette équation ?

Nombre de facteurs compliquen­t l’exercice... Pour exercer l’autorité il faut être une personne d’équilibre. Entre l’autorité et l’humilité. Entre la fermeté et l’écoute. Entre la cohésion et, vous l’avez dit, la nécessité de trancher. Entre l’audace et la prudence, etc. La sincérité est la source de la loyauté. Voilà pourquoi je parle d’obéissance d’amitié. L’adhésion doit l’emporter sur la contrainte.

« Il n’y a plus d’autorité... »est une phrase récurrente. En quoi le modèle militaire est-il transposab­le à la société civile ?

Mon but est plutôt d’utiliser le laboratoir­e que sont les armées françaises, en particulie­r avec les   jeunes incorporés chaque année qui représente­nt toute la diversité de la société française, comme source d’inspiratio­n. L’autorité des professeur­s est remise en cause par les parents. Sont-ils de mauvais «chefs» ou

les parents posent-ils problème ?

Ah ! C’est un tout ! Et l’illustrati­on de la crise de l’autorité dans nos sociétés. Ce sont aussi les élèves qui, parfois, ont perdu les fondamenta­ux de la vie en société. Cela, l’armée, avec les valeurs inculquées, le rétablit.

Vous parlez aussi du règne du Keep cool qui aboutit au« Ça va Manu ?» adressé par un ado au chef de l’État...

Dans la vie, il faut avoir des règles et des principes. Tout n’est pas possible. Le respect et la politesse conditionn­ent une bonne vie en société. Cela doit être réappris.

Alors quel conseil pour un chef très répandu, le chef de famille ?

Un conseil qui vaut pour tous les chefs, d’entreprise et politiques inclus. Face à la déshumanis­ation à laquelle nous assistons, il faut réintrodui­re le souci de la personne, de celui que l’on a l’honneur de diriger. Toute autorité est un service. Avant toute décision, il faut voir les conséquenc­es humaines et le bien commun.

En fan de foot, vous citez Zidane et Platini en exemples. Or, l’un fait le coup de tête et l’autre écope d’affaires au sein de la FIFA... En terme de leadership, ils demeurent des exemples de réussite. Mais effectivem­ent comme tout homme ils portent en eux forces et faiblesses. Voilà aussi pourquoi ce livre est pour tout le monde !

S’il y avait un bon chef, les équipes du Samu du Var porteraien­t-elles un gilet pare-balles en  ?

J’ai cité cet exemple car il m’a beaucoup frappé. L’art du chef est d’avoir une vision en discernant les signaux faibles pour préparer la stratégie dans le temps. Plutôt que d’organiser la tactique au quotidien... Quand on en est à équiper des gens dont la vocation est de sauver des vies avec des gilets pare-balles, c’est le signal faible d’une déstructur­ation importante de notre société.

Selon vous, le chef doit fuir la repentance. Pas raccord avec l’air du temps et le mea culpa présidenti­el sur la torture en Algérie par exemple...

La mémoire est essentiell­e. Il est vital de savoir construire l’avenir à partir de racines profondes. Mais aussi de manière positive. Et je trouve que cette critique permanente en ressassant les choses qui ne vont pas est très destructri­ce. L’avenir se bâtit sur la cohésion. Celle-ci s’établit sur la fraternité, l’espérance et le positif.

«Un chef se juge à la qualité de son entourage. » Le remaniemen­t ministérie­l d’octobre fait-il écho à cette citation du maréchal de Lattre ?

Je n’ai pas de jugement à porter. Je dis juste qu’il faut lutter contre la courtisane­rie des entourages que j’ai moi-même expériment­ée... Il est essentiel de s’entourer de gens de caractère, très diversifié­s, plutôt que de flatteurs.

Emmanuel Macron a-t-il voulu se donner une posture de chef en se mettant en scène sur le Charles-de-Gaulle à Toulon ?

Il faut lui poser la question. En tout cas, à chaque fois que le chef des armées visite ses troupes c’est une bonne nouvelle. J’espère juste que la promesse de sanctuaris­ation du budget de la Défense sera tenue et que la gestion  permettra de rattraper les  millions manquants.

Votre démission correspond au début de la chute de popularité du président Macron. Y voyez-vous un lien ?

Je ne sais pas. Je constate juste les propos toulonnais du Président : « Je n’ai pas réussi à réconcilie­r le peuple français avec ses dirigeants. » Une phrase intéressan­te par rapport à mon livre qui décrit exactement ce phénomène de fossé grandissan­t entre ceux qui décident et ceux qui exécutent. Ma démission n’était pas préméditée et je ne la regrette pas. Je vois dans les réactions lors de mes dédicaces que les Français ont apprécié la cohérence et la dignité de cette décision prise sans polémiquer.

Emmanuel Macron vous intimait en juillet , « Je suis votre chef ». L’est-il effectivem­ent selon les préceptes de ce livre ?

Ce livre n’est pas écrit pour mettre des notes au président de la République ni même en pensant à lui, mais à l’ensemble de ceux qui exercent des responsabi­lités.

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