Nice-Matin (Cannes)

LES «GILETS JAUNES» PAS CONVAINCUS PAR MACRON

Depuis douze jours, des dizaines de «gilets jaunes» se relaient 24 h/24 au rond-point de la Victoire à l’entrée de Cannes autour d’un campement de fortune. Rencontre avec ces révoltés

- SANDIE NAVARRA snavarra@nicematin.fr

Face à la colère des « gilets jaunes », le Président annonce « trois mois de co-constructi­on de solutions au plus près du terrain ». Sur le terrain et hier soir après l’entretien avec de Rugy, des réactions peu enthousias­tes. Reportage, de nuit, à Cannes, au coeur du mouvement.

Scène improbable qui se répète chaque soir depuis plus d’une dizaine de jours : au rond-point de la Victoire, au milieu des milliers de voitures qui défilent, un feu de camp crépite sur le bord de la route. À côté, un barbecue. Une tente. Des pancartes. Et une trentaine de « gilets jaunes » présents lundi. Ils ont voté Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon parfois même Emmanuel Macron. Parmi eux, des femmes, des hommes. Des mères de famille, des retraités. Des salariés, des artisans, des demandeurs d’emploi, des travailleu­rs handicapés. Impossible de définir un “profil type” parmi ceux qui ont investi l’endroit depuis le début des manifestat­ions.

« On ne peut pas se serrer la ceinture tout en baissant son pantalon ! »

« C’est un mouvement citoyen, auquel n’importe qui peut se greffer », constate Johan, étudiant en droit tout juste âgé de18 ans, venu « se faire une idée » par lui-même de ce rassemblem­ent sans filtrage ni blocage. Des parcours et des idées différents, mais tout de même un point commun : l’envie de changement. Et le ras-le-bol. «On ne peut pas se serrer la ceinture et baisser son pantalon en même temps », ironise un manifestan­t. À ses côtés, Franck, vendeur dans une grande enseigne qui a «renoncé à certains loisirs et déplacemen­ts en voiture le week-end » à cause d’un budget trop serré. Sophie, 49 ans, issue d’un milieu aisé qui a du mal à boucler ses fins de mois depuis un divorce douloureux. « Un accident de la vie » qui lui a fait découvrir une autre réalité : « C’est la première fois que je me sens aussi investie dans une cause...» Sylvie, 55 ans, employée d’un bureau d’étude qui « plafonne à 1500 € par mois » malgré son expérience et ses compétence­s. Ou encore Julien jeune papa de 26 ans, jardinier, qui « n’a pas les moyens de payer un trois pièces » et s’inquiète de l’augmentati­on du coût de la vie. « Si l’essence augmente, le reste suivra. Les artisans factureron­t plus cher les déplacemen­ts. Ce n’est qu’un exemple de ce qui nous attend... Ce rassemblem­ent, c’est notre manière de nous révolter. Ça a bien marché en mai 68 ! » Les pizzas et autres mets passent de main en main.

Une organisati­on qui se peaufine

Ici, le mot d’ordre, c’est le partage. Et la solidarité. Ils sont nombreux à revendique­r un avenir meilleur pour leurs enfants et petits-enfants. Comme Luis, costaud biker de 64 ans qui veille sur les troupes. « Le pays se dégrade, on veut leur laisser autre chose. » Ou Francisca, 82 ans, qui a bravé la nuit et le froid pour « soutenir les plus jeunes. » Ce qu’ils attendent ? « Du concret ! Baisse des taxes, augmentati­on du SMIC, création d’une assemblée citoyenne… » Les plus optimistes veulent y croire. « Si on ne lâche pas et qu’on patauge dans la gadoue, qu’on est présents 24 h/24 malgré la pluie et le froid, c’est qu’on a rien à perdre », lâche Véronique, 54 ans et sans emploi. Le petit groupe se structure peu à peu. Peaufine son organisati­on. Outre la tente et les palettes érigées en armoire où sont entreposée­s nourriture­s et boissons, un planning a été instauré pour ne pas laisser le campement sans surveillan­ce. « Certains arrivent parfois à 3 heures du matin pour prendre le relais avant d’aller bosser. »

« La voix du peuple est dans les coeurs »

C’est via la messagerie en ligne WhatsApp que les membres de cette drôle d’équipe restent en contact. «Il faut encore qu’on s’améliore, qu’on mette en place une meilleure organisati­on pour que nos voix portent et qu’on ait un projet à présenter », reconnaît Véronique. Le concert de klaxons ne s’arrête quasiment pas. « C’est aussi ça qui nous porte. Le soutien de tous ces gens. Ça fait quelques jours que j’ai rejoint le groupe et j’ai reçu des milliers de bravos et d’encouragem­ents », commente Véronique, commerçant­e de 57 ans qui enchaîne sur un hymne de son cru : « Macron, maintenant c’est l’heure, la voix du peuple est dans les coeurs. »

« On ne se contentera pas des miettes »

Ce qui réchauffe les coeurs justement, ce sont les petites attentions. Une énorme marmite de couscous préparée pour tout le monde, ce gigantesqu­e et magnifique gâteau apporté par un pâtissier, les sandwichs et baguettes déposées par les boulangers des environs, les sacs glissés à la va vite par les automobili­stes. Cette semaine, Anissa, qui a laissé ses deux enfants avec leur papa, a décidé d’apporter guirlandes et décoration­s pour égayer le campement de fortune. « On ne sait pas jusqu’à quand on va rester. Une chose est sûre, on ne se contentera pas des miettes cette fois-ci. »

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 ?? (Photos S. Botella) ?? Chaque soir, ils sont des dizaines de «gilets jaunes» à se relayer. Certains dorment sur place pour ne pas laisser le campement sans surveillan­ce.
(Photos S. Botella) Chaque soir, ils sont des dizaines de «gilets jaunes» à se relayer. Certains dorment sur place pour ne pas laisser le campement sans surveillan­ce.
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