Trois jours de Rencontres-débats à la salle Miramar
Le physicien Etienne Klein est l’invité d’honneur des Rencontres-debats qui s’ouvrent ce vendredi salle Miramar pour trois jours d’intenses échanges. Et notre avenir en ligne de mire
En voilà un, d’expert en la matière. Au sens propre puisque, depuis 2006, Etienne Klein est directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière. L’un des plus grands physiciens français contemporains, également docteur en philosophie des sciences, professeur, commandeur dans l’Ordre national des Palmes Académiques, auteur de nombreux livres, anime régulièrement une émission sur France Culture, La Conversation scientifique. Après sa participation aux Rencontres de l’Avenir de SaintRaphaël il y a quelques jours, il est l’invité d’honneur des Rencontresdébats de Cannes, organisées par l’association culturelle Arte-Filosofia. Pour parler du futur de la science, du corps humain et de la planète.
À regarder l’évolution de la science depuis toujours, on a l’impression que les grandes découvertes sont de plus en plus fréquentes. Est-ce votre avis ?
Des découvertes oui, il y en a de plus en plus. Mais des révolutions dans le monde scientifique, en revanche, il y en a de moins en moins. Regardez la physique : on vit actuellement sur deux grandes révolutions qui sont arrivées au début du XXe siècle : la relativité générale (la gravitation et Einstein) et la mécanique quantique, qui décrit l’infiniment petit, les interactions entre particules. Les principes ont été posés dans les années , depuis on a fait des millions de découvertes, mais aucune n’a remis en cause les principes de ces deux théories. On est donc dans une situation assez bizarre où on a des théories qui marchent très bien, mais qui sont contradictoires l’une avec l’autre. Il y a comme une schizophrénie dans la physique. Elle s’appuie sur deux piliers contradictoires.
N’y a-t-il donc plus de révolution à attendre de ces théories, l’infiniment petit et l’infiniment grand ?
Révolution, je ne crois pas. Mais la prochaine grande découverte, viendra-t-elle de la physique quantique ou de la gravitation ? C’est une bonne question. Dans l’univers primordial, les deux choses se combinent. Dans l’histoire de l’univers, elles sont couplées. Donc tout progrès dans un domaine a des répercussions dans l’autre domaine.
Quelle est donc pour vous la prochaine étape décisive ?
Pour nous (astro)physiciens, la grande question est “Est-ce qu’on a raison de dire qu’il y a de la matière noire ?” Elle agit sur les galaxies, et on sait, si elle existe, qu’elle n’est pas constituée de particules que nous connaissons. Et donc soit on trouve ces nouvelles particules, soit il faudra se reposer la question si les lois physiques qu’on utilise pour dire qu’il y a de la matière noire sont justes ou non.
Et donc quelle est selon vous la grande découverte imminente ?
Je vais répondre de manière affective. Je rêverais qu’on découvre au CERN ce qu’on appelle des particules de Majorana ().
Va-t-on bientôt découvrir une forme de vie ailleurs que sur Terre ?
On parle beaucoup de Mars. Ou même ailleurs. Certains pensent qu’on pourrait un jour faire cette découverte-là, d’autres pensent que non... Est-ce que la vie est un accident complètement contingent dans l’histoire ou est-ce un processus porté par l’histoire même de l’univers et la complexité qui l’accompagne ? J’ai tendance à penser que la vie est quelque chose de spécial et qu’il a fallu beaucoup de circonstances particulières et contingentes dans l’histoire de la Terre pour que la vie apparaisse. Ça n’autorise pas à dire “plus il y a d’exoplanètes découvertes, plus la probabilité d’y trouver un jour une
‘‘ forme de vie est grande”. En fait ça n’a rien à voir avec la statistique. Cela dit, ce n’est pas du tout une preuve...
A-t-on raison d’opposer religion et science ?
On a tous des croyances. Un physicien, c’est quelqu’un qui pense, qui croit que ça a du sens de faire de la physique. Je pense qu’on ne pourra pas déduire le sens de la vie de la connaissance du cosmos. Ce ne sont pas les lois physiques qui nous révéleront le sens de la vie. C’est plutôt à nous de trouver un sens à la vie en essayant de déterminer ce qu’on a à faire ici-bas. Quand on le sait, la question du sens est en grande partie résolue.
Quelle est la question la plus brûlante, pour vous ?
Ce n’est pas une question de physique pure. C’est le statut de la conscience. Qu’est-ce qui fait que la conscience de soi et des autres apparaisse à partir d’un « magma » physico-chimique ? Est-ce que les lois de la physique et de la chimie suffisent à engendrer de la conscience, ou celle-ci est-elle “plus” que les mécanismes du cerveau ? Je trouve que c’est une question importante car elle rejoint la question de l’intelligence artificielle. Personnellement, je pense qu’une machine, aussi perfectionnée soit-elle, ne pourra jamais avoir conscience d’ellemême.
Avec les réseaux sociaux, les fake news et dans le monde d’aujourd’hui, la science est-elle moins écoutée qu’avant ?
C’est vrai que je suis un peu inquiet de la façon dont tout ce discours se mélange. Dans les canaux d’information circulent des opinions, des connaissances, des croyances, des faits, des commentaires et tout se mélange. Entre opinions, arguments, preuves, théories, croyances... on ne voit plus de différence. Ce n’est pas la science qui est menacée, mais c’est le discours scientifique qui a du mal à se propager en restant lui-même dans ce monde agité.
Avons-nous alors plus que jamais besoin de zététique et d’esprit critique ?
L’esprit critique, c’est comme le cholestérol. Il y a le bon et le mauvais ! Le bon est celui par lequel on critique sa propre pensée. C’est celui-ci qu’il faut promouvoir, plutôt que de pousser tout le monde à critiquer tout ce qui nous entoure. 1. Ce sont des particules ou fermions qui sont leur propre anti-particule. Elles sont nommées en hommage au physicien Et tore Major ana, qui a proposé ce modèle dans les années 1930 en établissant l’équation qui porte son nom.
Une machine, aussi perfectionnée soit-elle, ne pourra jamais avoir conscience d’elle-même ”