Prêtre en détention : « C’est le moment de libérer la parole »
Thomas Bidart a été le premier à dénoncer des attouchements exercés par le père Schoepff, récemment incarcéré à Nice. Six autres hommes signalent des faits similaires subis à l’adolescence
Jeudi soir à Nice, quatre quadragénaires ont partagé un dîner et de pénibles souvenirs. Seul manquait à l’appel l’homme à l’origine de ce rendez-vous. Thomas Bidart, ans, a raté le rendez-vous à cause d’un retard sur le train Marseille-Nice. Qu’importe. Les victimes se sont à présent rencontrées, ou retrouvées, plus de vingt ans après ces faits douloureux. Thomas a été le premier à parler. Et son récit a libéré la parole des autres. Ils sont six à avoir porté plainte pour des faits d’attouchement contre le père Jean-Marc Schoepff qui exerçait son ministère à Nice. Une septième plainte serait en passe d’être déposée, selon Me Vincent Ehrenfeld, l’avocat des parties civiles. Ces sept hommes, aujourd’hui quadras, disent avoir été victimes d’actes pédophiles par ce prêtre alors qu’ils étaient adolescents. Au moins l’un de ces faits ne serait pas prescrit. Le novembre, l’homme d’Eglise, mis en examen pour agression sexuelle sur des mineurs de moins de ans, a été placé en détention provisoire. « Une mesure exceptionnelle pour des faits de nature délictuelle et non criminelle », relève Me Ehrenfeld. Jean-Marc Schoepff a fait appel de son placement en détention. La chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence examinera sa demande mardi. Une confrontation est prévue dans les prochains jours avec ses accusateurs. En attendant, Thomas Bidart appelle une nouvelle fois d’autres victimes potentielles à sortir du silence.
C’est le moment de parler et de témoigner. » Thomas Bidart a publié ce message sur Facebook, le 26 novembre, en indiquant le contact du magistrat en charge de l’affaire : Alain Chemama, doyen des juges d’instruction de Nice. Deux jours plus tôt, plusieurs médias, faisant écho aux révélations d’Europe 1, venaient d’annoncer le placement en détention provisoire de Jean-Marc Schoepff. Ce prêtre que Thomas a été le premier à accuser d’agression sexuelle. Assistant-réalisateur établi à Marseille, Thomas Bidart a grandi à Nice. C’est là que nous le rencontrons, avant-hier, attablé à une terrasse avec son avocat Me Vincent Ehrenfeld. Thomas a raté le dîner avec les autres victimes, mais sa satisfaction est ailleurs. « Ce sont les prémices de ce que j’espérais. Les gens commencent à parler. Les nombreuses personnes qui se souviennent de cette période, et qui ne me connaissaient pas forcément, m’ont relaté des témoignages par Facebook, par mail..., explique le quadra. Ma réponse est toujours la même : l’important, c’est de communiquer, de faire en sorte que ce sujet ne soit plus tabou. S’ils ont été choqués par des événements à l’époque, qu’ils se manifestent auprès de leur entourage. Ne serait-ce que pour que ça n’arrive plus ! » Ne plus avoir peur. Parler. Echanger. Découvrir ainsi, « sidéré » ,que chaque plaignant a vécu « quasiment le même schéma, dans des lieux différents. C’est glaçant », confie Thomas Bidart.
« On croyait être le seul »
Lui-même avait 13 ans quand la scène est survenue, dans l’appartement d’Auron où le père Schoepff organisait des camps de vacances. « Il se mettait toujours derrière nous, la nuit, en chien de fusil. Il commençait à faire un câlin, car il était plein de tendresse débordante... Un peu trop débordante. Jusqu’à déborder dans le caleçon et nous attraper le sexe, avant qu’on le repousse. » Aucun d’entre eux n’en avait parlé. « Ils croyaient que ce n’était qu’un dérapage, que ce n’était arrivé qu’à eux, explique Thomas Bidart. Tous, minots, on a fermé nos gueules en croyant être le seul. Tous, on s’est dit : “Cet homme fait du bien aux autres”, et on était coincé entre ces deux culpabilités. Pour un ado, décider si on doit faire le bien pour soi ou pour les autres, c’est dur ! » Au prix d’un long cheminement personnel, Thomas Bidart s’est efforcé de se détacher de ces souvenirs. D’effacer tout affect pour ce prêtre longtemps proche de sa famille. « C’était un ami de ma mère jusqu’à ce qu’elle arrête de lui parler, après ce que je lui ai révélé en décembre 2016 », explique Thomas Bidart. Le choc sera d’autant plus fort que son frère jumeau dénonce, à son tour, des faits similaires. Thomas Bidart a déposé plainte en janvier 2017. Mais c’est la plainte de son père, issu du corps médical, qui aurait servi de détonateur. Depuis, la brigade des mineurs de la sûreté départementale a recueilli plusieurs témoignages ou signalements à charge. « Le fait que la justice avance, c’est plus qu’un soulagement, confie Thomas Bidart. La vérité avance. Doucement... »
« Effet boule de neige »
Me Vincent Ehrenfeld constate que les faits dénoncés concernent tous « des garçons âgés de 12 à 15 ans. Ce ne sont pas des faits répétés. Il s’agit d’attouchements, pas de viol. Un seul fait n’est pas prescrit ». Suffisant toutefois, s’il venait à être établi, pour envoyer Jean-Marc Schoepff en correctionnelle. Le procureur de la République de
Nice, Jean-Michel Prêtre, a requis son incarcération afin d’éviter toute pression, directe ou indirecte. « Beaucoup de paroissiens, voyant la face brillante du personnage, ont eu du mal à y croire et sont solidaires avec lui, note Me Ehrenfeld. On sent bien qu’il peut y avoir un effet boule de neige. C’est toute la démarche de Thomas : susciter des vocations pour les gens qui n’ont pas pu parler. Le placement en détention peut libérer des gens. » Le procureur de Nice a évoqué un « très grand nombre de victimes potentielles ». Le père Schoepff a, en effet, officié dans le diocèse de Nice durant trente-cinq ans. Il a été aumônier dans plusieurs institutions niçoises, notamment à Stanislas, mais aussi à Saint-Joseph ou Saint-Vincent-de-Paul.
Un curé connu et apprécié, dont les agissements présumés suscitent des réactions soit incrédules, soit « écoeurées ». Si « des pressions subsistent », Thomas Bidart préfère retenir les marques de sympathie. « Je n’attaque pas l’Eglise, je n’attaque pas les prêtres, martèle-t-il. Je dis haut et fort qu’un adulte ne doit pas toucher à un enfant. C’est cela, ma satisfaction : me dire que peut-être, grâce à l’avalanche de témoignages et de plaintes que ma parole a déclenchés, quelques-uns seront sauvés. »
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