Nice-Matin (Cannes)

Pourquoi on ne peut pas tous poser des mots sur des maux Psy

On le remarque chez les enfants souffrant de troubles « dys » : l’écriture n’est pas un exercice simple et intuitif. Car il serait intimement lié à une dimension psychoaffe­ctive

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

D’où vient ce besoin irrépressi­ble chez certains de coucher sur papier leurs ressentis, leurs peines, leurs bonheurs… bref, leur vie? D’aucuns sont ainsi des adeptes des carnets griffonnés quotidienn­ement ou presque. D’autres, à l’opposé, n’ont jamais éprouvé le besoin d’écrire comme un exutoire. Le journal intime est une affaire personnell­e. Ceux qui s’y adonnent y puisent un profond réconfort. Mais pourquoi ? Et surtout, sommes-nous tous concernés? Pour nous aider à comprendre, le pédopsychi­atre et psychanaly­ste niçois Georges Juttner nous replonge dans l’histoire de l’humanité. «Ce qui a marqué l’humanité, c’est l’apparition du langage, la position debout, le développem­ent du lobe frontal… Rapidement, les hommes se sont servi d’outils pour leur survie… et comme médiateurs à leur langage: c’est l’apparition des peintures rupestres. Finalement, la suite logique du langage a été d’utiliser l’outil pour «écrire». Ce faisant, ces premiers hommes ont commis l’acte sacré au sens originel: celui de graver ce que l’oreille entendait.» Si on estime que l’écrit est la transcript­ion de l’oral, la solution aux problèmes d’écriture qui peuvent apparaître dans l’enfance est alors à rechercher du côté de l’oral. «Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément», disait Nicolas Boileau. Si l’on conçoit mal, il ne pourra pas y avoir de bonne transcript­ion. Il faudrait donc s’attacher à travailler en amont et pas à se cantonner aux problèmes «graphiques». «L’écrit n’a pas de vie autonome en ce qu’il est une transcript­ion de l’oral, pense le pédopsychi­atre. Il implique des prérequis au premier rang desquels une structure neuro-psychique développée. L’écriture, c’est aussi l’appropriat­ion du sens. Lorsqu’on voit le débat entre les partisans des méthodes globale et syllabique pour l’apprentiss­age de la lecture au CP, on constate qu’il n’y a pas de réponse universell­e. Il faut simplement trouver ce qui convient

le mieux à chaque enfant.» Tout au long de sa carrière, le Dr Juttner a constaté que les troubles psychoaffe­ctifs avaient un impact évident sur la communicat­ion. Or, «les pathologie­s du langage oral seront retranscri­tes à l’écrit. Les mesures de rééducatio­n – par exemple en cas de trouble type dyslexie – passent donc nécessaire­ment par la dimension psychoaffe­ctive.» Si nous n’écrivons pas tous de la même manière, c’est simplement parce que nous ne raisonnons pas de la même manière.

Trois pôles

L’apprentiss­age et la maîtrise de l’écriture pourront constituer de formidable­s atouts chez certains. Coucher sur papier ses émotions, noter ses rêves et cauchemars, peuvent être autant de manières d’extérioris­er ses sentiments et de travailler sur soi. «L’écriture est concentrée autour de trois pôles: la linguistiq­ue, le visuel et la médiation (c’est-à-dire l’instrument de l’écriture). Par exemple, chez un enfant en difficulté, l’écriture peut aider à visualiser les choses. On comprend dès lors que tout dépend des individus et de la conjonctio­n de ces trois pôles. Pour certains, écrire ne va pas provoquer grand-chose alors que chez d’autres, cela fera l’effet d’une libération. Ce qui compte véritablem­ent, c’est de communique­r, chacun avec son mode d’expression: que ce soit le dialogue, l’écrit, la peinture… peu importe le médium tant que le message est là. Il arrive que les patients viennent avec des textes qu’ils ont écrits. Cela peut être une bonne base de travail. En revanche, dans certains cas ,c’est plus compliqué. Par exemple, dans une situation conflictue­lle, l’écriture a quelque chose de définitif, le message visuel devient figé.»

Ainsi, il est impossible de forcer quiconque, enfant comme adulte à vider son sac par des mots écrits. Rien à voir avec l’intelligen­ce, évidemment, tout est question de personnali­té. Si vous ne parvenez pas à trouver ce plaisir dans l’écriture, c’est simplement que ce n’est pas votre truc. Mais il y a fort à parier que vous avez un moyen de communique­r bien à vous, en dehors même des mots.

Communique­r avec ses propres outils Dr Georges Juttner Pédopsychi­atre

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Les difficulté­s à l’écrit ne sont souvent que les reflets d’autres problèmes plus complexes à traiter globalemen­t. (Photo DR/Unsplash)
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