«L’humain doit rester au centre des préoccupations» L’interview
Présent au Day One à Monaco pour parler de digitalisation, le pdg de Michelin prône un capitalisme à dimension humaine et estime que les entreprises doivent montrer l’exemple
Peut-on être à la tête de plus de 111 000 collaborateurs, réaliser un chiffre d’affaires 2017 de 21,9 Md€ et voir dans le capitalisme un formidable levier pour la redistribution des richesses et le changement social ? Peut-on prôner la transformation numérique tout en plaçant l’humain au centre de ses préoccupations ? Pour JeanDominique Senard, la réponse est oui, sans hésitation. Le pdg de Michelin était l’un des intervenants du premier Day One, sommet international autour du développement digital global qui s’est tenu jeudi et vendredi derniers à Monaco. L’entreprise a, selon lui, un rôle très important à jouer et doit relever plusieurs défis.
Quelle signification revêt pour vous le mot digitalisation ?
De l’optimisme. Le contexte dans lequel nous vivons n’est pas rose mais la révolution digitale est là et nous devons faire avec. Toutes les entreprises doivent faire leur transformation numérique si elles veulent survivre. Le monde a davantage changé ces quatre dernières années que durant les quarante dernières. La e révolution industrielle arrive très vite : l’intelligence artificielle améliore la productivité, la qualité des produits, apporte de la maintenance prédictive… C’est merveilleux mais cela peut être effrayant. Il faut se demander quel monde on veut créer pour demain. Si on ne peut pas se battre contre le mouvement, il faut surveiller le processus. Les entreprises ont un rôle à jouer.
Lequel ?
Elles sont au coeur de la vie sociale, économique et politique. Elles sont celles qui créent des emplois, paient des impôts, forment les gens, apportent les innovations… Mais elles ne doivent pas être uniquement au service de leurs actionnaires et ne penser qu’à leur objectif financier. Elles doivent avoir conscience des répercussions sociales de leurs actions, avoir une raison d’être. C’est ce qui est inscrit dans leur ADN, qui crée du lien entre les collaborateurs, donne une vision pour le futur. Les entreprises qui ont une mission et qui la mettent en action font mieux que les autres.
On dit souvent que la digitalisation oublie l’humain...
Il est au centre des préoccupations et la raison d’être des entreprises. Oui, il faut maîtriser sa technologie et avoir les compétences digitales mais ce n’est qu’un moyen. La digitalisation ne peut s’imaginer que si elle est faite pour le bienêtre humain. Les sociétés qui survivront dans les années à venir seront celles qui se sont digitalisées et qui apporteront un “plus” : des services, des produits, des matériaux et un état d’esprit.
Quel est celui de Michelin ?
Dans la digitalisation de notre groupe, nous refusons que ce soit les machines qui dictent aux humains ce qu’ils ont à faire. Certes, ils nous facilitent la vie dans les usines mais c’est nous qui, en amont, leur avons appris ce qu’on attendait d’elles. Ensuite, nous pensons qu’il faut donner le temps aux équipes de s’accoutumer à la digitalisation. Il faut les former. En agissant ainsi – et on le voit dans tous les tests pilotes que nous réalisons –, les collaborateurs adhèrent facilement, sont fiers et heureux de maîtriser cette technologie. Ils ne la craignent plus et la diffusent. Ils en deviennent les meilleurs apôtres.
Est-ce pour cela qu’en , le magazine Forbes a classé Michelin comme le meilleur employeur des Etats-Unis ?
Ce résultat a certainement quelque chose à voir avec la mission de Michelin. Nous voulons offrir à chaque collaborateur une façon d’évoluer et d’avancer dans sa carrière, de libérer son énergie et de s’exprimer. C’est la clé de la réussite et d’un futur pour l’entreprise.
Est-ce ce que vous appelez le positive business, l’adéquation entre les gens et la technologie ?
Oui on peut l’appeler comme cela. C’est en tout cas pour nous une condition essentielle.
Comment s’est passée la digitalisation chez vous ?
Elle est dans tous les domaines de l’entreprise : de la relation client à l’industrie. Lorsque nous avons débuté le processus, nous sommes allés chercher des compétences technologique liées au digital que nous n’avions pas. Ainsi, la première compagnie que Michelin a rachetée après neuf années sans croissance externe a été un pure player. Nous avons eu cette ouverture au digital et avons intégré de nouvelles plateformes technologiques qui diffusent cette culture numérique au sein de Michelin.
Un exemple ?
A Clermont-Ferrand (siège de Michelin, ndlr), nous avons créé une joint-venture avec Fives pour développer et commercialiser à l’échelle mondiale des machines et des ateliers de production industriels via l’impression D Métal. Quel meilleur exemple de la digitalisation qu’une technologie que nous maîtrisons et des emplois que nous créons. Tout cela donne un ensemble très enthousiasmant pour peu que nous ne perdions pas le fil conducteur qui est l’humain ! Michelin n’a jamais été aussi fort et incontournable aujourd’hui. C’est un travail d’équipe incroyable. Nous sommes en train de poser le socle qui supportera la transformation du groupe et les très grands investissements à venir. Ce socle est tellement clé qu’on n’a pas le droit de se rater. Mais on ne claque pas les doigts pour avoir l’intelligence artificielle. Traiter et exploiter la donnée est un travail énorme qui prend du temps.
Une question sur l’actualité et l’affaire Carlos Ghosn…
J’ai un respect considérable pour les faits. Je respecte aussi les personnes et la présomption d’innocence. Vous ayant dit cela, vous comprendrez pourquoi je ne peux rien ajouter de plus. Il faut savoir attendre avant de juger.
Vous quittez la présidence de Michelin en mai prochain. Qu’allez-vous faire après ?
C’est une bonne question. Je vous en parlerai à ce moment-là.