Nice-Matin (Cannes)

«On a tout à gagner,

Ils ont monté un véritable camp retranché sur le rond-point de Saint-Isidore à Nice. Les «gilets jaunes» s’organisent. Une microsocié­té où chacun trouve sa place, son rôle. Immersion

- TEXTES : STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr REPORTAGE PHOTOS : SÉBASTIEN BOTELLA

Rond-point Saint-Isidore. Baptisé «rond-point du peuple ». Ou, « la blague », Barbecue-King, en référence au fast-food installé juste en face. À quelques centaines de mètres de l’Allianz Riviera, ce camp de «gilets jaunes» est devenu un point de cristallis­ation. Qui se construit. S’agrandit. S’organise. Et s’ancre. Une Zad. Ou presque. Un vrai lieu de vie où chacun, naturellem­ent, a trouvé sa place. Et a son rôle à tenir. Partis avec deux canapés et trois palettes, voilà les «gilets jaunes» dans un « quatre pièces cuisine ». Cocon en kit pour mille colères. Mille rages. Mille souffrance­s. Dans la fumée, dans le bruit, militants FN, mélenchoni­stes purs et durs, ex-Nuit debout, retraités, pères de famille, travailleu­rs, chômeurs... se côtoient. Redevenus « simples » citoyens, ils ont trouvé un but commun, sans autre bouc émissaire que « ce putain de gouverneme­nt qui nous humilie tous ». Voilà, c’est comme ça à Saint-Isidore. Mais, c’est certaineme­nt différent ailleurs. Jusqu’où iront-ils ? Jusqu’à quand ? Ils n’en savent rien. Le mouvement, c’est eux. Pourtant, ils se laissent porter. Passer une journée sur le « rondpoint du peuple», c’est faire une foule de rencontres. Enrichissa­ntes. Certaines un peu énervantes. C’est un peu étourdissa­nt aussi. Difficile à analyser. A comprendre... Mais, c’est surtout – seule certitude – une plongée dans une microsocié­té à fleur de peau. Dès 8 heures du mat, le baffle crachote déjà. Jonglant entre La Marseillai­se, Les Berrurier noirs, Nissa la bella. Ou encore Johnny Hallyday : « Allumez le feu ». Ce feu qui a crépité toute la nuit dans les bidons. Il faut bien se réchauffer sur ce rond-point ouvert aux quatre vents. « La révolution, c’est mieux en été », rigole l’un des irréductib­les Gaulois. Un de ceux qui dort sur place. Un pilier qui, de bon matin, fatigué mais tenant sur les nerfs, danse et agite son drapeau bleublanc-rouge sur la route alors que les automobili­stes klaxonnent en continu en guise de soutien. « On est à fleur de peau, parce qu’on a mis notre vie entre parenthèse­s depuis plus de trois semaines », commente encore l’un d’entre eux. Écorchés vifs. Comme ce jeune, en crise de nerfs parce que sa mamie qui a 800 euros de retraite ne mange pas à sa faim. Écorchés vifs, comme cette jeune femme qui tient une pizzeria, travaille «comme un chien » et qui est déjà à découvert le 5 du mois. «Macron il change sa moquette pour 300 000 euros et moi j’en suis déjà à - 64 euros et je n’ai pas payé mes factures ».

Opérations « péages gratuits »

Dans la cabane, où s’entassent les denrées alimentair­es apportées par les très nombreux soutiens, deux jeunes dorment. Pas dérangés par le brouhaha incessant. Il est presque midi. Tout est déjà prêt pour le déjeuner. Jean-Claude est à la tâche. Un petit groupe va négocier avec les gendarmes l’ouverture pendant une heure des barrières de péage. « Nous, ce qu’on veut c’est que ce soit gratuit pour les gens ». Ils renouvelle­ront l’opération à la nuit tombée. Anthony a 17 ans. Symbole de la jeunesse qui a juste l’impression d’avoir un mur devant son nez et qu’on lui dit « avance, bordel ». Malade pendant 6 ans, il n’a aucune formation. « Je ne trouve pas de travail. Et je ne vois pas assez souvent ma maman en plus. C’est pour elle que je suis “gilet jaune ”». Une mère qui galère pour finir les fins de mois : « Elle travaille de nuit et fait de l’intérim en journée ».

« On va rouiller avec toute cette flotte »

Tout au long de la journée, les gens s’arrêtent pour signer la pétition. Pour apporter à manger ou à boire. « On va rouiller avec toute cette flotte », plaisante le « Catalan », avec un accent aussi gros que le coeur. La nourriture en trop est donnée à la Banque alimentair­e. « Hors de question de gaspiller ». Les heures défilent. Le camp n’a déjà plus la même tête que le matin. La cuisine a changé de place. Et du lino-carrelage est désormais au sol.

« Le Negresco du pauvre »

Sur le rond-point, une microsocié­té s’est organisée. De la récup. Des outils et de l’huile de coude. C’est « Le Negresco du pauvre », rit Joëlle, une intellectu­elle tendrement perchée. « Bientôt on va planter des légumes et faire venir des chèvres pour faire du fromage », pouffe l’un des deux aînés du camp. La nuit, la musique à fond et les loupiotes donnent des airs de bal du village au rond-point. Ce type de bals où l’on raconte sa vie, où l’on se fait des amis, où l’on se dispute, aussi. Et où on refait le monde.

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Du matin au soir, la nuit, sur le rond-point, la vie s’est organisée.
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