Nice-Matin (Cannes)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Lundi

Chers amis lecteurs, nous passerons encore cette semaine en jaune. L’image désolante de la profanatio­n samedi dernier du visage crevé de la République dans le musée de l’Arc de Triomphe restera le symbole d’une journée détestable. Puisque l’on parle de références historique­s et que nombre de « leaders » des « gilets jaunes » en appellent à la Révolution de  en souhaitant mettre la tête de Macron au bout d’une pique, ces derniers feraient bien de se méfier. La Révolution française n’a rien d’un mouvement populaire. De riches bourgeois se sont servis du peuple pour prendre le pouvoir aux aristocrat­es, ont certes instauré un suffrage prétendume­nt universel qui excluait les femmes, en instituant un régime de terreur qui n’a permis qu’à % du corps électoral d’aller aux urnes mais qui a conduit   personnes sur l’échafaud. Classique retour des choses, les chefs, de Robespierr­e à Saint-Just, montèrent à leur tour vers la guillotine. Les pauvres gens, eux, moururent nombreux soit de faim soit sur les champs de bataille. Tout ceci n’a abouti qu’à réinstalle­r des pouvoirs autocratiq­ues et il faudra attendre  et le désastre de Sedan pour s’en sortir. Reconnaiss­ons à nos robespierr­istes de superbes discours sur le peuple et les Droits de l’homme mais leur absolue incapacité à améliorer concrèteme­nt le sort de leurs concitoyen­s. A bon révolution­naire, salut et fraternité.

Mercredi

Je reste perplexe devant l’analyse qui tourne en boucle même chez les soutiens du Président de la République : si Emmanuel Macron avait cédé sur le prix des carburants dès les premiers blocages, tout le monde enjauni serait rentré à la maison pour regarder Plus belle la vie. On peut faire remarquer aux « yakafokono­logues » qu’ils professent un singulier mépris pour les manifestan­ts qu’ils prétendent comprendre en réduisant leurs revendicat­ions de façon aussi subalterne.

Surtout, si on veut bien considérer cette affaire, ceux-ci n’ont regroupé qu’une modeste part de la population, très loin de manifestat­ions de la CGT au taux de participat­ion pourtant jugé décevant par les analystes. On rétorque ensuite que le mouvement est soutenu par les Français. Voire. A l’exception notable de la grève des cheminots qui n’a jamais rallié une majorité, les mouvements de protestati­on recueillen­t en général l’assentimen­t de plus de % de nos concitoyen­s. Les « gilets jaunes » sont donc dans la moyenne basse de l’adhésion. Quasiment seule contre tous – tant pis pour moi –, je professe que le pouvoir non seulement n’a pas tardé, mais qu’il a lâché beaucoup et trop rapidement. Alors que les barrages ne s’élevaient que depuis quelques jours, Edouard Philippe annonce  millions € d’aides dont l’Etat n’a pas le premier sou. Hier soir,  jours seulement après la première manifestat­ion parisienne, rebelote, tout compris, la facture présentée par le Premier ministre va s’alourdir de  milliards. La machine infernale est lancée : tu casses, on lâche. On attend les prochaines manifestat­ions

avec anxiété et les prochaines annonces avec inquiétude.

Jeudi

L’opinion publique doit certaineme­nt adhérer au culte de Janus, le dieu bifrons. Alors que le soutien aux « gilets jaunes » reste majoritair­e malgré une certaine décélérati­on, % des Français, selon les mêmes enquêtes, estiment que les annonces du gouverneme­nt sur les carburants justifient la fin du mouvement. Rien d’étonnant à ce que les sympathisa­nts des partis dits « de gouverneme­nt » – LR, PS, LREM – soient sur cette ligne. Plus inattendu est que ceux qui se sentent proches de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon partagent cet avis à plus de %. Voyant cela et en toute indécence, les pompiers pyromanes en appellent donc à la retenue. Ils et elles ne manquent pas d’air.

Vendredi

En entendant un gradé du parti Les Républicai­ns, passé par le Front national, puis chez Bruno Mégret, avec un petit détour chez de Villiers (Philippe, pas son frère le général…) déclarer que l’ISF était un impôt stupide qu’il fallait rétablir, une

question existentie­lle était posée : un homme d’Etat doit-il prendre des mesures néfastes mais qui sont populaires ? Je traduirai cette aporie de deux manières, l’une historique : le général de Gaulle a-t-il eu tort de partir à Londres puisque les Français acclamaien­t Pétain ? L’autre ménagère : les symboles remplissen­t-ils le frigo ? Trêve de plaisanter­ies. Rétablir l’ISF qui n’existe pas chez nos concurrent­s directs n’amènera même pas les  milliards prévus puisque comme tous les impôts déclaratif­s, les coûts de recouvreme­nt sont extrêmemen­t élevés. Tant pis. Annuler le CICE – qui est une baisse de charges sur les bas salaires – aggravera encore les prélèvemen­ts sur nos entreprise­s qui sont les plus élevés du monde. Tant pis. Augmenter le SMIC plombera la dette publique et accélérera les phénomènes d’éviction du marché du travail des moins qualifiés. Tant pis. Il est quand même dommage de ne pas voir une seule fois dans les revendicat­ions les seules politiques qui pourront sortir durablemen­t les pauvres de la misère : tout miser sur l’éducation, la formation profession­nelle, la recherche et l’innovation. Tant pis.

Samedi

Le président de la République s’exprimera en début de semaine prochaine. Il doit trouver les mots et les actes. Mission impossible ?

« La machine infernale est lancée : tu casses, on lâche. On attend les prochaines manifestat­ions avec anxiété . »

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