Sous les pavés Antibes, miroir de la fleur
Le lundi, en alternance avec notre chronique le passé redevient d’actualité
Difficile aujourd’hui d’imaginer que notre région a été, autrefois, une terre de culture, d’abord de produits maraîchers avant de s’orienter vers la culture de la fleur, de voir ses activités ensuite décliner peu à peu, disparaître presque totalement et laisser les terrains ainsi récupérés aux mains des promoteurs. La culture des produits maraîchers fut privilégiée jusque vers 1880 avec comme cultures principales, la vigne, le blé, l’olivier, les agrumes, le figuier, le mûrier et celle de légumes uniquement en plein air : pommes de terre, haricots, fèves, artichauts, tomates. C’est avec les tomates que commencera la culture sous verre tenté par quelques audacieux avec les premiers châssis, fabriqués en bois, mélèze ou pitchpin, par les menuisiers. Leur acquisition représentait d’énormes sacrifices financiers et un gros investissement. Vu leur succès, leur fabrication devint plus industrielle avec des maisons qui se spécialisèrent dans leur production comme Falcini dans le quartier du Val-Claret ou Brenier au quartier de la Brague avec une demande croissante. Cependant, ce matériel demandait un entretien sérieux et régulier. L’été, lorsque les serres étaient découvertes, il fallait réparer et repeindre tous ces châssis. Chaque élément couvrait une surface d’environ 2 m2 et il devait être fixé très solidement pour éviter qu’une bourrasque de vent engouffrée dans une serre ne les fasse voler assez loin et même atterrir sur d’autres propriétés avec des risques de dégâts évidents. L’ennemi numéro un de toutes ces cultures sous serre était les orages et surtout la grêle. Ceux du 15 juillet 1951 et du 10 juin 1971 ont laissé des souvenirs douloureux dans le monde agricole local. La presque totalité des serres antiboises fut détruite lors de cette dernière calamité. Cela conduira beaucoup d’exploitants agricoles incapables de couvrir les réparations à faire ou complètement découragés, avec des enfants pas toujours décidés à reprendre la suite, à vendre leurs terres.
Du roi des oeillets au nom de la rose
C’est de là que débuteront les constructions à outrance sur ces terres qui iront croissantes avec les années, jusqu’à la disparition progressive puis complète de toutes ces activités agricoles. La fragilité de ces premières constructions en verre fin entraînera l’avènement des châssis en métal non plus avec du petit verre jardinier, mais avec du verre martelé, le verre cathédrale plus épais et plus résistant à la grêle mais moins efficace pour les cultures. Après la réussite de la culture des tomates sous verre, essai hasardeux, couronné de succès, on essaya la production sous châssis vitrés de quelques variétés d’oeillets très simples et cette tentative fut réussie. « Mais les premiers oeilletistes n’étaient que des cultivateurs procédant un peu au petit bonheur. » Leurs résultats surprenants incitèrent des horticulteurs de métier, de véritables professionnels, à quitter la région lyonnaise pour venir s’installer à Antibes. « Ils apportèrent des méthodes éprouvées, fruits de l’expérience qui donnèrent bientôt à la culture de l’oeillet sous châssis, un prodigieux essor. » Parmi ces précurseurs, il faut citer Carriat, Nigon, Fulconis… Ils réussirent à donner aux oeillets d’Antibes une renommée sans pareille. Leur exemple incita les petits cultivateurs antibois à produire cette fleur sur une grande échelle. « La campagne antiboise se couvrit d’exploitations florales de plus en plus importantes. » La culture de l’oeillet ne nécessite pas un matériel coûteux et rapporte, mais l’oeillet ne dure pas et c’est ce qui les incitera à se lancer dans la culture des roses. Ces fleurs, très prisées par les grossistes, nécessitent moins de main-d’oeuvre et leur vente est très rémunératrice. À Antibes, la culture florale occupera une place importante avec l’oeillet, la rose, l’asparagus, l’anémone dans l’économie locale. L’Indicateur commercial et touristique d’Antibes-Juan-les-Pins de 1947-1949 précise qu’Antibes, à ce moment-là, compte près un millier d’horticulteurs faisant exclusivement de la culture sous verre, soit une surface vitrée de 2000 ha et que les châssis et le matériel d’exploitation représentaient en 1939 un capital d’exploitation supérieur à 100 millions de francs. « C’est pour ces raisons que l’on pouvait déclarer qu’Antibes était le centre horticole le plus important de la Côte d’Azur. » ■ Sources : témoignage et documents d’Edmond Curty, indicateur commercial et touristique d’Antibes Juan-lesPins 1947-1949.