Nice-Matin (Cannes)

“Lulu”, une cote d’amour

L’ancien entraîneur de l’OGC Nice revient avec le Borussia Dortmund sur la Côte d’Azur, une région qu’il a eu beaucoup de mal à quitter. Retour sur ses deux saisons en rouge et noir

- VINCENT MENICHINI

Il y a tellement à dire, tellement à raconter sur l’histoire singulière que celle de Lucien Favre à l’OGC Nice, club qu’il a porté jusqu’à la troisième place de Ligue 1, en 2017, une première depuis 41 ans. Elle n’aura pourtant duré que deux saisons. Deux saisons que le Suisse a traversé « la tête dans le guidon », selon un proche, avec des matchs tous les trois jours, des rêves de titre, des désillusio­ns, des prises de bec, des incompréhe­nsions, mais aussi beaucoup de joie et de belles rencontres... “Lulu” se plaisait sur la Côte d’Azur. Il avait élu domicile du côté de La Gaude, allait faire ses courses à SaintJeann­et, où ce fin gourmet aimait dénicher de bons produits en compagnie de son épouse, tombée sous le charme d’une région qu’elle ne voulait plus quitter. Il ne s’interdisai­t jamais de s’asseoir autour d’une bonne table à Saint-Paul-deVence, comme lors de ce dernier repas dans un restaurant étoilé en compagnie de l’ensemble de son staff, qu’il avait invité juste avant de rejoindre Dortmund. « Il a songé à acheter un pied-à-terre dans le coin, glisse un salarié de l’OGC Nice. C’est une personne qui a du goût, qui appréciait de se balader incognito. Il ne se présentait jamais en tant que coach de Nice pour profiter de sa notoriété. Il est d’une grande simplicité. » Quand le calendrier le lui permettait, il conviait ses amis suisses à le rejoindre, tout comme son fils, sa fille et les petitsenfa­nts. « Il est très famille », glisse cette même source. A Nice, son bilan sportif demeure largement positif. Favre pourrait rester un long moment comme le coach ayant obtenu les résultats les plus probants depuis les années 70. Il sera, à jamais, celui qui a mené le Gym à un barrage de Ligue des champions, contre Naples, après une qualificat­ion historique à l’Arena d’Amsterdam. Il y a des matchs qui restent, qui comptent plus que d’autres dans l’histoire d’un club, cet Ajax-Nice est tout làhaut. Il y en a eu d’autres, comme ce Nice - PSG (victoire 3-1) gravé dans les mémoires.

Quand il songeait à démissionn­er

Malgré ces exploits à répétition, les relations entre Favre et ses dirigeants se sont distendues au fil des mois. Après une première saison historique, Favre n’accepte pas les départs de plusieurs cadres (Baysse, Ricardo, Dalbert, Belhanda, Eysseric). Il le dit haut et fort, ce qui ne colle pas avec le plan de communicat­ion du club, ni la politique sportive qui consiste à faire éclore des jeunes à fort potentiel. A 60 ans, Favre n’a plus de temps à perdre. Il aspire à rejouer les premiers rôles, ce qu’il juge impossible avec les joueurs dont il dispose. A maintes reprises, ses décideurs lui rappellent qu’il pensait la même chose, un an plus tôt, avant de finalement jouer le titre jusqu’au mois d’avril. On lui souligne qu’il ne croyait pas du tout en Dalbert, vendu 29 millions d’euros à l’Inter Milan un an après son arrivée. « Ce n’était pas facile de travailler avec lui. Il pouvait être déroutant mais c’était sans doute de la superstiti­on, une façon de se protéger », estime, avec du recul, un ancien collaborat­eur. En juillet 2017, mécontent de la tournure prise par le mercato, Favre songe à quitter le navire en plein stage de préparatio­n à Divonneles-Bains. Ce n’est pas la première fois qu’il menace de démissionn­er. Le président Jean-Pierre Rivère se rend sur place et joue les médiateurs. Le lendemain, Favre est passé à autre chose. Il effectue ses tours de terrain, ses étirements et ses jongles, comme si de rien n’était. Il ne démissionn­era jamais. « C’est Lulu, c’est un artiste ! » se marre une source interne.

Avec Balotelli, « Je t’aime, moi non plus »

Autre point chaud de son aventure en rouge et noir : la gestion du cas Mario Balotelli. Favre n’a jamais voulu de l’Italien mais a su en tirer le maximum, grandement aidé par ses adjoints (Fred Gioria, Adrian Ursea et Alexandre Dellal) qui ont constammen­t fait tampon pour éviter une crise profonde. Malgré la distance qu’entretenai­t Favre, l’Italien a réalisé les meilleures saisons de sa carrière avec le Suisse. Ce dernier n’a jamais douté des qualités de finisseur de son joueur mais ne collait pas avec l’idée qu’il se faisait d’un attaquant moderne. Car, derrière l’image d’un coach tourné vers l’offensive, Favre est un entraîneur avec des idées très précises sur la manière de défendre de son équipe et les efforts qu’elle doit fournir à la récupérati­on. « En 4-3-3, il faut que les ailiers fassent au minimum 12 kilomètres pour que ce soit viable », nous avait-il expliqué, au cours d’un échange très enrichissa­nt. « Oui, oui, je confirme, avec lui, il faut courir, sinon... », confie Valentin Eysseric, qui a adoré jouer sous ses ordres. La saison dernière, il arrivait à Saint-Maximin d’oublier les courses de repli et de ne pas dépasser les dix kilomètres lors d’un match, ce qui exaspérait Favre. Comme pour d’autres, il n’avait pas hésité à se rendre dans le bureau de Julien Fournier, le directeur général du club, afin de lui conseiller de le revendre à peine arrivé pour la coquette somme de dix millions d’euros. Une requête jugée irrecevabl­e et inaudible en haut-lieu. La mise à l’écart de Racine Coly, un joueur qu’il avait ardemment souhaité avant de le placardise­r, a également été un sujet de discorde, tout comme l’utilisatio­n a minima de Jean-Victor Makengo, joueur sur lequel le club avait misé entre six et sept millions d’euros.

Valentin Eysseric : « Il est à part »

Dès le mois de janvier 2018, Nice prépare l’après-Favre. Son départ est déjà acté. Les dirigeants ne feront rien pour le retenir, parvenant à gratter une indemnité de transfert pour un coach qu’ils ne voulaient plus. « On remercie Lucien Favre pour ce qu’il a fait », dira Jean-Pierre Rivère, le 19 mai, au soir de la dernière journée, à Lyon. En interne, d’aucuns considèren­t que le Gym disposait de l’effectif pour se qualifier une troisième fois de suite pour la Coupe d’Europe. Quelques jours plus tard, le technicien s’engage avec le Borussia Dortmund pour deux ans. En Allemagne, il ne voit plus les sièges vides de l’Allianz Riviera et peut compter sur un effectif XXL qu’il gère de main de maître. Après 14 journées, le BVB est un leader invaincu en Bundesliga avec sept points d’avance sur le Borussia M’Gladbach de Plea. Ça s’applaudit et n’étonne pas du tout Valentin Eysseric. « Parce qu’il est à part, glisse le milieu de la Fiorentina. Avec lui, tu reviens aux bases, tu fais des jongles, des passes, comme au centre de formation. Il a toujours les bons mots avec les joueurs, peut donner des conseils hors-football. A l’arrivée, ça marche à chaque fois. »

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A Dortmund depuis cet été, Lucien Favre fait encore des miracles. Ce week-end, le BVB a conforté sa place de leader en battant Schalke  dans le derby de la Ruhr. (Photo AFP)

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