Nice-Matin (Cannes)

L’une est pour, l’autre non: deux associées, un débat

Valérie Ammirati, expert-comptable à Nice, ne voit que des avantages dans le prélèvemen­t à la source. Au contraire de son associée Christine Boutin. Ou de Michèle, l’une de leurs salariées…

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Installé dans l’ancienne salle de bal du Majestic, à Nice, le cabinet d’expertise-comptable Skynet, entre autres services, établit chaque mois 600 bulletins de salaire. A distance, pour une soixantain­e d’entreprise­s disséminée­s en France, principale­ment sur la Côte d’Azur. Le prélèvemen­t à la source ? « Personnell­ement, je n’y vois que du positif », souligne Valérie Ammirati en évoquant le cas particulie­r de celui ou celle qui entre dans la vie active : « Quand on commence à travailler, il faut attendre la deuxième année pour vraiment réaliser ce que représente­nt les impôts. Si l’on ne s’y est pas préparé, lorsque l’avis tombe, c’est un choc. Avec le prélèvemen­t à la source, cet inconvénie­nt disparaît. » Ici, toutes les fiches de paie émises depuis le mois d’octobre portent mention, à titre indicatif, de la somme qui sera prélevée à compter du mois de janvier. « Avec cette simulation, les salariés auront eu trois mois pour s’y faire. » Quant aux indépendan­ts dont les revenus sont fluctuants – médecins, avocats, artisans… –, ils ne doivent pas s’attendre à « l’effet d’aubaine » qu’une année blanche pourrait leur faire espérer : « Le prélèvemen­t se fera sur la base de la meilleure des trois dernières années. » Autrement dit, pas question de « gonfler » les recettes en 2018 pour déporter sur 2019 un maximum de dépenses, le législateu­r a anticipé.

« Beaucoup vont pleurer »

Christine Boutin, l’associée de Valérie Ammirati qui s’occupe notamment de la gestion des salaires, admet que l’adaptation aura été simple. « L’administra­tion fiscale nous a communiqué tous les taux. Et nous avions la chance de disposer d’un logiciel évolutif où tout a été implémenté de façon automatiqu­e. Ce n’est pas le cas de tous nos confrères, certains d’entre eux ont dû investir plusieurs milliers d’euros dans un nouveau matériel. » Mme Boutin observe toutefois que le cabinet a dû prendre en charge le coût de sa propre formation. Soit environ 1000 €. « Pessimiste », elle s’attend à une levée de boucliers dans les entreprise­s pour lesquelles les fiches de salaire sont éditées : « Beaucoup de salariés vont pleurer. En se disant qu’ils gagnent moins, même si ce n’est pas vrai. Intellectu­ellement, on n’a pas forcément intégré le fait qu’à la fin de chaque mois, il y aura moins sur la paie. » Elle craint que les clients ne l’appellent directemen­t au lieu de se tourner vers l’administra­tion fiscale. Et prédit que certains seront tentés de demander une augmentati­on, histoire de compenser ce qu’ils estimeront être un manque à gagner…

« Ça payait un bifteck »

Pour Michèle, employée du cabinet, ce sera une retenue d’environ 100 € par mois. « Je ne vois pas du tout l’intérêt du prélèvemen­t à la source », explique cette Alsacienne qui a toujours payé ses impôts au rythme des tiers provisionn­els : «Je préférais placer l’argent plutôt que de l’avancer. Sur un trimestre, disons que ça payait un bifteck. Et quand on a un petit budget, les dépenses n’étant pas identiques tous les mois, je trouvais plus de souplesse dans cette formule qui me convenait parfaiteme­nt. » Skynet loue une partie de son espace à de jeunes « coworkers ». Parmi eux, Thomas, qui apprécie les lieux « pour la conviviali­té » et pour disposer d’un bureau présentabl­e. Afin d’y recevoir ses clients, des syndics de copropriét­é qui, ne réglant pas toujours dans les temps, lui procurent des rentrées d’argent assez peu régulières. « Il m’arrive de gagner 500 € tel mois et 4 000 le suivant. Avec le prélèvemen­t à la source, l’impôt s’adaptera au fur et à mesure, si bien que je ne le sentirai pas trop passer. » David, son voisin de « coworking », est moins convaincu. « Pour moi, ça ne sert pas à grand-chose. Le prélèvemen­t à la source est une façon d’infantilis­er les gens. » Tous deux ont créé leur propre entreprise et n’ont, pour le moment, aucun employé. Parmi les salariés dont Skynet valide les bulletins de salaire, les chiffres peuvent donner le tournis. Un serveur touchant 1500 € net se verra prélever chaque mois 60,10 €. Une cadre payée 3 481,82 €, mariée avec un enfant, contribuer­a à hauteur de 453,76€. Quant à la directrice d’une agence émargeant à 6 495,02€, mariée, sans enfant à charge, elle sera ponctionné­e chaque mois de 1281,72€.

 ??  ?? Valérie Ammirati et Christine Boutin, associées et néanmoins divisées sur l’opportunit­é de ce nouveau mode de prélèvemen­t de l’impôt. (Photo Cyril Dodergny)
Valérie Ammirati et Christine Boutin, associées et néanmoins divisées sur l’opportunit­é de ce nouveau mode de prélèvemen­t de l’impôt. (Photo Cyril Dodergny)

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