Nice-Matin (Cannes)

Je suis schizophrè­ne et je vous parle de cette maladie

Dans son ouvrage, L’Étrange univers du schizophrè­ne, Sophie raconte son mal-être pendant des années, mais aussi sa volonté de guérir. Un récit poignant et courageux au bénéfice de tous

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Sophie aura mis cinq ans pour achever son livre. Un récit initié pendant l’une des périodes les plus difficiles de la vie de cette jolie Grassoise de 41 ans : celle où elle a dû se battre pour conserver la garde de sa fille, alors âgée de 2 ans. Une procédure déclenchée par les services sociaux après son «coming out » – comme elle le nomme – sur les réseaux sociaux : «Je suis schizophrè­ne». Pourquoi une telle déclaratio­n? Probableme­nt parce que Sophie, à l’instar de nombreux autres malades psychiques, aura attendu plus de vingt ans pour apprendre de quoi elle souffrait. L’annonce du diagnostic – qui va se produire dans le cadre de ses démêlés avec les services sociaux – est presque un soulagemen­t pour elle : Sophie dispose enfin de quelques clés pour comprendre… « Pendant toutes ces années, je prenais un médicament sans savoir quelle maladie m’affectait. »

« Vous entrez dans un monde bizarre »

C’est à la fin de l’adolescenc­e que Sophie va être la proie de ses premières bouffées psychotiqu­es. Elle consulte un psychiatre libéral, qui la met sous traitement. « Vous n’avez pas 20 ans, vous êtes censée séduire, trouver un partenaire, imaginer avoir un jour des enfants et là, face au psychiatre, vous comprenez que vous êtes entrée dans un univers bizarre», témoigne Sophie. Mais ce qui va surtout insupporte­r la jeune fille, c’est de ne pas se voir confier les rênes de sa maladie, alors « que le meilleur médecin, c’est le malade lui-même » a-t-elle depuis compris. Elle raconte dans son ouvrage : « On me demandait de prendre les pilules presque sans y penser. Avaler des drogues était difficile, ne pas y réfléchir, j’en étais incapable. Croire qu’un problème mental se résoudrait sur la simple prise d’un traitement, alors même qu’on ne savait quasi rien de la chimie de cette étrangeté ni de celle du remède, semblait invraisemb­lable.»

« Certains ont peur de nous alors que c’est nous qui avons peur de tout »

Alors qu’elle est étudiante en licence de biologie, elle est victime d’une grave « crise » qui va conduire sa famille à la faire hospitalis­er. « J’étais mal, et mes parents avaient invité beaucoup de monde à la maison. L’agitation, les bruits…» Sans s’attarder sur sa période d’hospitalis­ation, Sophie précise qu’elle souhaitera «ne jamais revivre ça» .Et elle ne le revivra pas. Si le regard de Sophie sur la psychiatri­e est critique, son discours à l’intention des autres malades est dénué de toute ambiguïté : « Le traitement est fondamenta­l : il apporte le socle sur lequel on peut construire la guérison. Sans lui, on est comme un gaz, volatile…» Un gaz prêt à exploser au contact de la moindre flamme. « La schizophré­nie, c’est la maladie de la peur. Certains ont peur de nous, alors que c’est nous qui avons peur de tout… Pendant les crises hallucinat­oires, qui peuvent durer des semaines, et qui FONT la maladie, on souffre d’angoisses intenses et de peur panique ; on a peur de tout, d’un bruit chez un voisin, d’une mouche qui passe… On se sent à la fois persécuté et culpabilis­é, avec un sentiment de concerneme­nt: on est au centre des mouvements et intentions du reste des hommes… Un fait divers à la télé, et on entend le présentate­ur qui nous interpelle: “tu vois, c…, ce que tu as fait, tu as tué trois personnes… ” On se sent à la fois petit et grand. Impuissant et puissant. On peut agir, mais comment agir? Comment corriger ce que l’on a provoqué ? On ressent une très forte culpabilit­é… C’est flippant… Moi, j’avais des délires géopolitiq­ues. Je me voyais dans un jeu de go avec des dictateurs asiatiques, habitée par la peur de faire une erreur dont les conséquenc­es pouvaient être dramatique­s pour la planète… » Si Sophie comprend combien que ces crises peuvent inquiéter ceux qui en sont témoins, elle les incite à conserver leur calme, à ne pas céder à la panique. «Souvent, les proches se mettent Pair-aidante (concept consistant à utiliser son expérience de malade pour soigner), elle accompagne notamment un jeune homme de 20 ans. Elle enseigne la nécessité de garde-fous et insiste sur l’importance de prendre ses médicament­s : «Si tu ne veux pas prendre de médoc, reste à souffrir!», dit-elle sans ménagement. Elle dit aussi l’importance du sommeil (la maladie est responsabl­e de terribles insomnies), du maintien dans la vie active – « il faut essayer de négocier un mi-temps thérapeuti­que». Elle évoque enfin les dangers de l’isolement social – «l’oisiveté est mère de tous les vices ». « Les malades doivent se documenter sur leur maladie, lire des livres, fréquenter des groupes d’entraide, retrouver sur les réseaux sociaux des groupes de pairs-aidants…»

Paru en juillet

 ??  ?? « Avaler des drogues était difficile, ne pas y réfléchir, j’en étais incapable», se souvient Sophie dans son ouvrage. (Photo NC)
« Avaler des drogues était difficile, ne pas y réfléchir, j’en étais incapable», se souvient Sophie dans son ouvrage. (Photo NC)

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