Nice-Matin (Cannes)

MACRON LANCE LE GRAND DÉBAT

Dans sa lettre aux Français, le Président appelle « le plus grand nombre » à y participer. À lire en pages intérieure­s : l’intégralit­é de la lettre, l’analyse de notre éditoriali­ste Michèle Cotta et les principale­s réactions.

- EMMANUEL MACRON

Vous trouverez ci-dessous l’intégralit­é de la « lettre aux Français » du président de la République(). Elle ouvre un « grand débat national » qui se poursuivra jusqu’au  mars. Emmanuel Macron n’indique pas le détail de l’organisati­on même s’il précise que « les maires auront un rôle essentiel » et que la consultati­on se fera également sur Internet. Il retient quatre grands thèmes qu’il alimente d’un certain nombre de questions. A charge pour tous ceux qui participer­ont au débat de faire leurs propositio­ns.

Chères Françaises, chers Français, mes chers compatriot­es.

Dans une période d’interrogat­ions et d’incertitud­es comme celle que nous traversons, nous devons nous rappeler qui nous sommes. La France n’est pas un pays comme les autres.

Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte. Chez nous, ceux qui travaillen­t financent les pensions des retraités. Chez nous, un grand nombre de citoyens paie un impôt sur le revenu, parfois lourd, qui réduit les inégalités. Chez nous, l’éducation, la santé, la sécurité, la justice sont accessible­s à tous indépendam­ment de la situation et de la fortune. Les aléas de la vie, comme le chômage, peuvent être surmontés, grâce à l’effort partagé par tous.

C’est pourquoi la France est, de toutes les nations, une des plus fraternell­es et des plus égalitaire­s. C’est aussi une des plus libres, puisque chacun est protégé dans ses droits et dans sa liberté d’opinion, de conscience, de croyance ou de philosophi­e.

Et chaque citoyen a le droit de choisir celles et ceux qui porteront sa voix dans la conduite du pays, dans la conception des lois, dans les grandes décisions à prendre.

Chacun partage le destin des autres et chacun est appelé à décider du destin de tous : c’est tout cela, la nation française. Comment ne pas éprouver la fierté d’être Français ?

Je sais, bien sûr, que certains d’entre nous sont aujourd’hui insatisfai­ts ou en colère. Parce que les impôts sont pour eux trop élevés, les services publics trop éloignés, parce que les salaires sont trop faibles pour que certains puissent vivre dignement du fruit de leur travail, parce que notre pays n’offre pas les mêmes chances de réussir selon le lieu ou la famille d’où l’on vient. Tous voudraient un pays plus prospère et une société plus juste. Cette impatience,

‘‘ je la partage. La société que nous voulons est une société dans laquelle pour réussir on ne devrait pas avoir besoin de relations ou de fortune, mais d’effort et de travail.

En France, mais aussi en Europe et dans le monde, non seulement une grande inquiétude, mais aussi un grand trouble ont gagné les esprits. Il nous faut y répondre par des idées claires.

Mais il y a pour cela une condition : n’accepter aucune forme de violence. Je n’accepte pas, et n’ai pas le droit d’accepter la pression et l’insulte, par exemple sur les élus du peuple, je n’accepte pas et n’ai pas le droit d’accepter la mise en accusation générale, par exemple des médias, des journalist­es, des institutio­ns et des fonctionna­ires. Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait !

Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre avenir.

C’est pourquoi j’ai proposé et je lance aujourd’hui un grand débat national qui se déroulera jusqu’au 15 mars prochain.

Depuis quelques semaines, de nombreux maires ont ouvert leurs mairies pour que vous puissiez y exprimer vos attentes. J’ai eu de nombreux retours que j’ai pu prendre en compte.

Nous allons désormais entrer dans une phase plus ample et vous pourrez participer à des débats près de chez vous ou vous exprimer sur internet pour faire valoir vos propositio­ns et vos idées. Dans l’Hexagone, outre-mer et auprès des Français résidant à l’étranger. Dans les villages, les bourgs, les quartiers, à l’initiative des maires, des élus, des responsabl­es associatif­s, ou de simples citoyens… Dans les assemblées parlementa­ires comme régionales ou départemen­tales.

Les maires auront un rôle essentiel car ils sont vos élus et donc l’intermédia­ire légitime de l’expression des citoyens.

Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, d’échanger, de débattre. Et peut-être découvriro­ns-nous que nous pouvons tomber d’accord, majoritair­ement, au-delà de nos préférence­s, plus souvent qu’on ne le croit.

Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientatio­ns auxquelles je demeure fidèle. Je pense toujours qu’il faut rendre à la France sa prospérité pour qu’elle puisse être généreuse, car l’un va avec l’autre. Je pense toujours que la lutte contre le chômage doit être notre grande priorité, et que l’emploi se crée avant tout dans les entreprise­s, qu’il faut donc leur donner les moyens de se développer. Je pense toujours qu’il faut rebâtir une école de la confiance, un système social rénové pour mieux protéger les Français et réduire les inégalités à la racine. Je pense toujours que l’épuisement des ressources naturelles et le dérèglemen­t climatique nous obligent à repenser notre modèle de développem­ent.

Nous devons inventer un projet productif, social, éducatif, environnem­ental et européen nouveau, plus juste et plus efficace. Sur ces grandes orientatio­ns, ma déterminat­ion n’a pas changé.

Pour moi, il n’y a pas de questions interdites”

Mais je pense aussi que de ce débat peut sortir une clarificat­ion de notre projet national et européen, de nouvelles manières d’envisager l’avenir, de nouvelles idées. À ce débat, je souhaite que le plus grand nombre de Français, le plus grand nombre d’entre nous, puisse participer.

Ce débat devra répondre à des questions essentiell­es qui ont émergé ces dernières semaines. C’est pourquoi, avec le Gouverneme­nt, nous avons retenu quatre grands thèmes qui couvrent beaucoup des grands enjeux de la nation: la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisati­on de l’Etat et des services publics,

‘‘ la transition écologique, la démocratie et la citoyennet­é. Sur chacun de ces thèmes, des propositio­ns, des questions sont d’ores et déjà exprimées. Je souhaite en formuler quelques-unes qui n’épuisent pas le débat mais me semblent au coeur de nos interrogat­ions.

❑ Le premier sujet porte sur nos impôts, nos dépenses et l’action publique. L’impôt est au coeur de notre solidarité nationale. C’est lui qui finance nos services publics. Il vient rémunérer les professeur­s, pompiers, policiers, militaires, magistrats, infirmière­s et tous les fonctionna­ires qui oeuvrent à votre service. Il permet de verser aux plus fragiles des prestation­s sociales mais aussi de financer certains grands projets d’avenir, notre recherche, notre culture, ou d’entretenir nos infrastruc­tures. C’est aussi l’impôt qui permet de régler les intérêts de la dette très importante que notre pays a contractée au fil du temps.

Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprise­s, créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les travailleu­rs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendron­s pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investisse­ment et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparen­te et avec le recul indispensa­ble. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin.

Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?

Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique. Quelles sont les économies qui vous semblent prioritair­es à faire ? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? A l’inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ? Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent insuffisan­t, d’autres trop cher en raison des cotisation­s qu’ils paient. L’efficacité de la formation comme des services de l’emploi est souvent critiquée. Le gouverneme­nt a commencé à y répondre, après de larges concertati­ons, à travers une stratégie pour notre santé, pour lutter contre la pauvreté, et pour lutter contre le chômage. Comment mieux organiser notre pacte social ? Quels objectifs définir en priorité ?

❑ Le deuxième sujet sur lequel nous devons prendre des décisions, c’est l’organisati­on de l’Etat et des collectivi­tés publiques. Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux: école, police, armée, hôpitaux, tribunaux sont indispensa­bles à notre cohésion sociale.

Y a-t-il trop d’échelons administra­tifs ou de niveaux de collectivi­tés locales ? Faut-il renforcer la décentrali­sation et donner plus de pouvoir de décision et d’action au plus près des citoyens? A quels niveaux et pour quels services ? Comment voudriez-vous que l’Etat soit organisé et comment peut-il améliorer son action? Faut-il revoir le fonctionne­ment de l’administra­tion et comment ? Comment l’Etat et les collectivi­tés locales peuvent-ils s’améliorer pour mieux répondre aux défis de nos territoire­s les plus en difficulté et que proposez-vous ?

❑ La transition écologique est le troisième thème, essentiel à notre avenir. Je me suis engagé sur des objectifs de préservati­on de la biodiversi­té et de lutte contre le réchauffem­ent climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transforma­tions seront douloureus­es.

Faire la transition écologique permet de réduire les dépenses contrainte­s des ménages en carburant, en chauffage, en gestion des déchets et en transports. Mais pour réussir cette transition, il faut investir massivemen­t et accompagne­r nos concitoyen­s les plus modestes.

Une solidarité nationale est nécessaire pour que tous les Français puissent y parvenir. Comment finance-t-on la transition écologique : par l’impôt, par les taxes et qui doit être concerné en priorité ?

Comment rend-on les solutions concrètes accessible­s à tous, par exemple pour remplacer sa vieille chaudière ou sa vieille voiture ? Quelles sont les solutions les plus simples et les plus supportabl­es sur un plan financier ? Quelles sont les solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir qui doivent être conçues plutôt au niveau local que national ? Quelles propositio­ns concrètes feriez-vous pour accélérer notre transition environnem­entale ?

La question de la biodiversi­té se pose aussi à nous tous. Comment devons-nous garantir scientifiq­uement les choix que nous devons faire à cet égard ? Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et internatio­nal pour que nos producteur­s ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrent­s étrangers ?

❑ Enfin, il est évident que la période que notre pays traverse montre qu’il nous faut redonner plus de force à la démocratie et la citoyennet­é. Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représenta­nts à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représenta­tion est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représenté­s à l’issue des élections. Faut-il reconnaîtr­e le vote blanc ? Faut-il rendre le vote obligatoir­e ? Quelle est la bonne dose de proportion­nelle aux élections législativ­es pour une représenta­tion plus juste de tous les projets politiques ?

Faut-il, et dans quelles proportion­s, limiter le nombre de parlementa­ires ou autres catégories d’élus ? Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil Economique, Social et Environnem­ental doiventils jouer pour représente­r nos territoire­s et la société civile ? Faut-il les transforme­r et comment ? En outre, une grande démocratie comme la France doit être en mesure d’écouter plus souvent la voix de ses citoyens.

Quelles évolutions souhaitez-vous pour rendre la participat­ion citoyenne plus active, la démocratie plus participat­ive ?

Faut-il associer davantage et directemen­t des citoyens

‘‘ non élus, par exemple tirés au sort, à la décision publique ? Faut-il accroître le recours aux référendum­s et qui doit en avoir l’initiative ? La citoyennet­é, c’est aussi le fait de vivre ensemble.

Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les persécutio­ns et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le devoir de l’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigratio­n et aux défaillanc­es de notre système d’intégratio­n.

Que proposez-vous pour améliorer l’intégratio­n dans notre Nation ? En matière d’immigratio­n, une fois nos obligation­s d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?

La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants débats. La laïcité est la valeur primordial­e pour que puissent vivre ensemble, en bonne intelligen­ce et harmonie, des conviction­s différente­s, religieuse­s ou philosophi­ques. Elle est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix. Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’Etat et les religions de notre pays ? Comment garantir le respect par tous de la compréhens­ion réciproque et des valeurs intangible­s de la République ? Dans les semaines qui viennent, je vous invite à débattre pour répondre à ces questions déterminan­tes pour l’avenir de notre nation. Je souhaite aussi que vous puissiez, au-delà de ces sujets que je vous propose, évoquer n’importe quel sujet concret dont vous auriez l’impression qu’il pourrait améliorer votre existence au quotidien. Ce débat est une initiative inédite dont j’ai la ferme volonté de tirer toutes les conclusion­s. Ce n’est ni une élection, ni un référendum. C’est votre expression personnell­e, correspond­ant à votre histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici requise, sans distinctio­n d’âge ni de condition sociale. C’est, je crois, un grand pas en avant pour notre République que de consulter ainsi ses citoyens. Pour garantir votre liberté de parole, je veux que cette consultati­on soit organisée en toute indépendan­ce, et soit encadrée par toutes les garanties de loyauté et de transparen­ce.

C’est ainsi que j’entends transforme­r avec vous les colères en solutions.

Vos propositio­ns permettron­t donc de bâtir un nouveau contrat pour la Nation, de structurer l’action du Gouverneme­nt et du Parlement, mais aussi les positions de la France au niveau européen et internatio­nal. Je vous en rendrai compte directemen­t dans le mois qui suivra la fin du débat. Françaises, Français, je souhaite que le plus grand nombre d’entre vous puisse participer à ce grand débat afin de faire oeuvre utile pour l’avenir de notre pays. En confiance,

Nous ne pouvons poursuivre les baisses d’impôt sans baisser notre dépense publique”

J’entends transforme­r avec vous les colères en solutions”

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