Les Algériens de la Côte heureux, mais « vigilants »
Pas de manifestations de joie dans les villes azuréennes à l’annonce de la démission de Bouteflika. La communauté attend d’autres départs, et surtout une transition démocratique
L’annonce de la démission du président Abdelaziz Bouteflika s’est répandue mardi soir sur la Côte d’Azur comme une traînée de poudre. Prompte à faire exploser sa joie en toute occasion, la communauté est pourtant restée chez elle. Ni concert de klaxons, ni drapeaux brandis. « Nous ne sommes pas sortis, confirme Feriel, 31 ans, coiffeuse à domicile à Nice, française d’origine algérienne. Pourtant mon mari, mes soeurs, étions très heureux. Mais on attend la suite. La démission des autres. »
Les « autres », le « système », la « mafia ». Au-delà du président, les Algériens de la Côte d’Azur attendent le départ de tous ceux qui, disent-ils, ont confisqué le pouvoir. D’où l’absence d’euphorie. Mohamed Sifaoui, journaliste et écrivain franco-algérien va plus loin, affirmant que derrière la démission de celui qui présidait l’Algérie depuis 20 ans, se cache un « putsch » militaire (lire ci-dessous).
À la sortie du consulat d’Algérie à Nice, Ressoul NedjmEddine, 20 ans, Français
d’origine algérienne se veut confiant. « Le fait qu’il ait démissionné, ça change beaucoup de choses. J’attends que les ministres partent.» Ila surtout une pensée émue pour cette jeunesse qui a clamé son envie de changement dans les rues algériennes. Scotché sur son portable, pas un jour sans qu’il ne suive la mobilisation, sur Instagram ou Facebook.
«Un mouvement extraordinaire»
« C’est une manifestation magnifique, qui ne casse rien. Dans le TGV de Paris l’autre jour, on m’a dit que les Algériens, c’est pas les gilets jaunes », s’amuse-t-il. On sent la frustration de ne pas y être. A l’image de Feriel, la coiffeuse. Son mari s’apprête à partir, la semaine prochaine. « C’est un mouvement extraordinaire, sans blessés. Mon mari m’a déjà dit qu’il va y participer », sourit-elle. Elle le vivra par procuration.
« Vigilance, vigilance, vigilance, on a gagné la bataille, mais pas la guerre », résume la Niçoise Houria Boukhlif, Française - « et heureuse de l’être » - d’origine algérienne. Cet expert judiciaire et psychologue clinicienne met dans le même panier la « mafia politico financière » et la « junte militaire » qui tiennent le pays en coupe réglée. Elle veut les voir lâcher les rênes. «Il ne faut pas laisser le régime se régénérer. C’est comme un serpent à sept têtes. » Elle dit n’être pas dupe de la démission de Bouteflika : «Il y a une lutte de pouvoir dans les hautes sphères. On a l’impression qu’ils sont sourds à l’appel du peuple. »
«Une misère absolue»
Elle demande à l’armée de « laisser le peuple respirer ». Certes, l’Algérie a gagné l’indépendance en 1962, mais elle affirme que le peuple a depuis été bafoué, floué. « Les élites ont des biens partout, alors que l’Algérie ne s’en sort pas, et que des gens pauvres sont dans une misère absolue. »
Djamal Limane, chargé d’enseignement à l’IUT de Nice, soutient aussi que le peuple demande le départ de tout un système. « Bouteflika n’en était qu’un élément. Le peuple doit pouvoir organiser lui-même sa transition dans le calme et la sérénité pour construire un état de droit. »
Il appelle d’ailleurs les Algériens de la Côte d’Azur, et sympathisants, à manifester dimanche à 14 heures place Massena. Vigilants, toujours.