Nice-Matin (Cannes)

« Que les Algériens ne se laissent pas voler leur révolution »

Mohamed, Sifaoui, journalist­e, écrivain franco-algérien, auteur de «Où va l’Algérie»

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC

Vu de France, la démission d’Abdelaziz Bouteflika semble être une victoire. Mais vous parlez de putsch de l’appareil militaire. Pourquoi ?

Soyons clairs, c’est une première victoire du peuple algérien dans un processus révolution­naire. Ils ont dit qu’ils ne voulaient plus de ce régime. Mais ce n’en est pas la fin. Ce départ s’est fait via un étrange communiqué du ministère de la défense demandant au président de partir sans délai. Comment appeler cela, sinon un putsch ?

Qui en est à l’origine ?

Selon mes informatio­ns, le chef d’état-major des armées, Gaîd Salah, a compris qu’il allait être mis à la retraite. Il a pris de vitesse Bouteflika pour l’amener à partir.

C’est une manoeuvre d’Ahmed Gaïd Salah pour rester en place ?

Je crois qu’il est dangereux de jouer avec un chef d’état-major comme celui-ci. Il est très brutal. Il est attaché au pouvoir car il est concerné par les affaires de corruption. L’enjeu pour ces caciques est aujourd’hui de quitter le pouvoir sans avoir à rendre des comptes sur les affaires de corruption, si une justice indépendan­te venait à se mettre en place.

L’état de droit est-il désormais envisageab­le en Algérie ?

À court terme, non. On ne peut changer le fonctionne­ment en l’espace de quelques jours. Il faut quelques mois, parfois quelques années, pour construire des institutio­ns solides. Pour mettre sur pied de nouvelles traditions démocratiq­ues de bonne gouvernanc­e et un état de droit, il faut du temps. Il ne faut pas oublier que le règne de Bouteflika a fragilisé l’ensemble des institutio­ns algérienne­s. La corruption endémique a entaché la vie publique, en long et en large. La seule qui est forte, c’est l’institutio­n militaire. Et encore. Elle est divisée sur la méthode et la stratégie.

La rue ne doit donc pas relâcher son étreinte ?

Je souhaite que les Algériens ne se laissent pas voler leur révolution. Il faut le départ de tous ceux qui ont causé le mal-être de l’Algérie et le malheur de son peuple, et ensuite l’édificatio­n d’un véritable état démocratiq­ue. Il faudra du temps, de l’énergie. Et ne surtout pas imaginer que ceux qui ont été les acteurs de la fraude, de la corruption, seraient ceux qui pourraient demain édifier la démocratie.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France