Nice-Matin (Cannes)

Jambe gauche, jambe droite

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Si l’idée était de plumer la poule sans la faire crier, c’est raté. Le projet de réforme de l’assurance chômage a réussi à faire crier en choeur à peu près toutes les forces sociales : de la CGT à la CPME en passant par le Medef et la CFDT, qu’on avait rarement vue aussi remontée. « Abasourdie », dixit Laurent Berger.

En choeur, mais pas à l’unisson. Chacun, comme il se doit, a ses raisons de se plaindre.

Les syndicats de salariés, parce qu’on va durcir les conditions d’indemnisat­ion et réviser à la baisse les modalités de calcul pour les travailleu­rs intermitte­nts. Souvent les plus fragiles.

Les cadres, parce qu’ils (du moins les mieux pourvus) subiront de plein fouet la dégressivi­té des prestation­s : - % à compter du e mois d’indemnisat­ion.

Décision qui a provoqué l’improbable : une pétition commune de la CGT et de la CFE-CGC.

Les employeurs, parce qu’ils se voient imposer un système de bonus-malus sur les cotisation­s patronales destiné à pénaliser les entreprise­s qui abusent des contrats précaires, doublé d’une taxe forfaitair­e sur les CDD ultra-courts. Une « vision punitive » de l’économie, selon le patron des patrons.

Ceux qui auraient des raisons de se réjouir, ce sont les travailleu­rs indépendan­ts et (à certaines conditions) les salariés qui démissionn­ent pour prendre un nouveau départ profession­nel : les uns et les autres auront désormais droit à l’assurance chômage. Mais, hier, on ne les a pas entendus. C’est la loi du genre. On ne fera pas insulte au gouverneme­nt de penser qu’il n’avait pas anticipé ces réactions. Fâcher «en même temps » le monde du travail et les milieux patronaux, ce serait en somme, vu de la rue de Grenelle, la preuve que le dispositif est équilibré. Jambe gauche : un renforceme­nt des dispositif­s de formation et d’accompagne­ment des chômeurs ; et de nouveaux moyens de lutte contre la précarisat­ion de l’emploi, ce fléau français, dont on ne mesure pas assez le coût humain et financier. Les embauches en contrats de moins d’un mois ont été multipliée­s par , en  ans ; elles représente­nt aujourd’hui  % des embauches. Pour l’assurance chômage, le déficit dû aux CDD et à l’intérim frôle les  milliards. Jambe droite : la chasse aux supposés « effets d’aubaine » engendrés par notre système d’assurance chômage, le plus généreux qui soit. Trop généreux ? Pour « favoriser le retour à l’emploi », selon l’argumentai­re gouverneme­ntal, en clair dissuader les profiteurs de se la couler douce aux frais de l’Unedic, il faudrait absolument serrer les boulons. C’est-à-dire durcir les conditions d’indemnisat­ion.

Le problème, c’est que si la fraude existe, et les « faux chômeurs » aussi (qui n’en connaît pas ?), l’immense majorité des demandeurs d’emploi ne souhaitent rien tant que retrouver au plus vite du boulot. Et que les mesures d’économie supposées débusquer les premiers frapperont inévitable­ment les seconds. Y compris les plus vulnérable­s, les moins « employable­s », comme disent les technocrat­es. Ambiguïté de cette réforme qui hésite entre ambition réformatri­ce et logique comptable (, milliards d’économie attendus en deux ans), et dont une bonne partie de l’opinion risque de ne retenir que : ce gouverneme­nt fait les poches des chômeurs pour boucher le trou de l’Unedic.

« Si l’idée était de plumer la poule sans la faire crier, c’est raté. »

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