À son tour, un Antibois accuse le curé niçois
Sébastien Liautaud, 33 ans, affirme avoir été victime d’attouchements, à Rome, à l’âge de 11 ans. Il est le premier à révéler publiquement des faits non prescrits. Le premier hors de Nice, aussi
C’était un prêtre moderne, charismatique, très sympathique... Aujourd’hui, je vois son côté manipulateur. Je pense qu’il était très bien préparé, qu’il savait très bien ce qu’il faisait. » Sébastien Liautaud parle avec calme, posément, lucidement. À ans, cet Antibois dénonce pourtant des faits graves. À son tour, il dit avoir subi des attouchements de la part du père JeanMarc Schoepff, ce curé niçois mis en examen pour « agressions sexuelles sur mineurs de moins de ans ». À ce jour, neuf hommes ont déposé plainte contre lui. La plupart des faits pourraient s’avérer prescrits. Sauf pour deux d’entre eux. Dont Sébastien. Son témoignage circonstancié apporte une pierre importante à l’enquête. Récit.
Rome, mars 1997. Sébastien Liautaud est âgé de 11 ans et demi. Il est venu en pèlerinage pour la semaine sainte, avec un groupe de jeunes Azuréens. L’organisateur : Jean-Marc Schoepff, via l’association qui porte ses initiales, JMS (Jeunes pour un Monde Solidaire). « C’est lors de ce voyage qu’il y a eu agression », entame-t-il. Quelques mois plus tôt, Sébastien a vu débarquer à Antibes le père Schoepff, les yeux grands ouverts. Issu d’une famille catholique pratiquante, il est enfant de choeur à la chapelle Sainte-Marguerite, dans le quartier des Semboules, liée à la paroisse Notre-Dame de l’Assomption. Jean-Marc Schoepff se fait tutoyer, appeler par son prénom. « C’était limite révolutionnaire. Dérangeant pour certains. Une confiance s’est instaurée, qui est devenue complètement aveugle... » Dans la ville éternelle, Sébastien et ses camarades séjournent à la Trinité des Monts, un couvent situé piazza di Spagna. «Il y avait un dortoir filles et un dortoir garçons, avec des cellules individuelles qui ne fermaient qu’avec des rideaux. » Un épisode va éveiller sa méfiance.
« Tu deviens un homme »
« Dès le premier soir, j’avais remarqué qu’il [Jean-Marc Schoepff] était à l’entrée de la salle de bains. Il n’y avait pas de rideau de douche. Et il nous regardait. Je me souviens très bien d’une réflexion qu’il a faite à un camarade : “Ça pousse, tu deviens un homme !” Il a rigolé... » Échaudé, Sébastien invoque un prétexte fallacieux pour faire sa toilette au lavabo, dorénavant. Réflexe autoprotecteur. Puis vient cette nuit où Sébastien surprend le prêtre dans sa cellule. « Il mange du chocolat noir – en plein carême. Je lui demande ce qu’il fait là. Il me dit : “En faisant ma tournée, je me suis aperçu que tu faisais du bruit. Je suis resté là le temps de finir ma tablette”. » Rien de répréhensible pour la justice des hommes, jusqu’ici.
Mais ensuite, le jeune garçon sent « une présence dans [s] on lit. Je panique et, sans ouvrir les yeux, je parviens à identifier qui c’est. Je sens ses genoux derrière moi. Puis un souffle dans le cou. Et une main puissante sur mon ventre. Malheureusement, elle ne s’est pas contentée d’aller là. Elle est descendue sur le slip, est remontée pour redescendre, s’introduire dans le slip et se faire plus pressante... »
Des attouchements, cantonnés à une seule nuit, à l’occasion d’un voyage. Le scénario rappelle les récits des précédentes victimes. Mais celui de Sébastien Liautaud est précieux pour la justice. Si cette agression sexuelle venait à être établie, la prescription tomberait vingt ans après sa majorité. Sa plainte serait donc recevable.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
Cette nuit-là, Sébastien Liautaud dit s’être retourné, et avoir lancé à l’intrus : « “Mais qu’est-ce que tu fais ?” Il était d’une assurance hallucinante. Même pas paniqué. Il a retiré sa main délicatement et m’a dit : “Tu n’as pas de souci à te faire. Je vérifiais simplement que tout se développe normalement”. Il m’a même fait la bise, m’a dit que je pouvais me rendormir... Et je me suis rendormi. » Cet épisode, lui aussi, restera en sommeil au fond de sa mémoire. Jusqu’en février 2019. Sébastien apprend que « JeanMarc », dont il garde de bons souvenirs, est sur Facebook. Il veut lui écrire. « C’est en voyant une photo de lui, attablé avec quatre jeunes mineurs, que tout se réveille en moi. Je ressens une angoisse terrible. Physique. Elle me saisit le ventre et me monte à la gorge, au point de m’empêcher d’avaler ! »
« Une angoisse terrible »
La découverte de l’affaire, les échanges avec d’anciens paroissiens confirment à Sébastien ce qu’il n’osait s’avouer. Vient alors le « sentiment de culpabilité. Peut-on faire cela à un prêtre ? À Jean-Marc, qui a fait tant de bien, qui était presque comme un père pour moi ? » Au final, Sébastien s’est résolu à parler. Car il n’est pas seul. Il a entrepris une thérapie avec une psychologue. Il est soutenu par Thomas et François Bidart, les frères jumeaux qui ont témoigné les premiers. « Je me dois de faire le relais sur Antibes », justifie Sébastien. Qu’importe si les paroissiens sont divisés, entre ceux qui se sentent trahis par le père Schoepff, et ses fidèles qui crient au complot. Pour Sébastien Liautaud, pas question de jeter l’opprobre sur l’Église tout entière : « Ce qui s’est passé ne m’affecte pas dans ma foi. » Vendredi dernier, l’évêque Mgr Marceau l’a longuement reçu. « J’étais un peu révolté ; ça m’a apaisé », confie l’Antibois. Il incite d’autres victimes à sortir de l’ombre. « Ça fait du bien. Ça aide à avancer. Et ça peut en aider d’autres. »