Nice-Matin (Cannes)

IACONO HÉROS D’UNE SÉRIE TV : IL DIT TOUT

Daniel Auteuil incarnera l’ex-maire de Vence dans quatre films pour France . Christian Iacono, blanchi après avoir été accusé de viol par son petit-fils, revient sur  ans de calvaire.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Librement inspirée de son livre Le Mensonge, paru en 2016 aux éditions Sudarènes, cette série de France Télévision­s s’articulera autour de quatre films de 52 minutes qui devraient être diffusés dans le courant du deuxième trimestre 2020. Daniel Auteuil, qui a signé pour le rôle principal, campera donc l’exélu, accusé de viol par son petit-fils Gabriel en 2000, condamné à neuf années de réclusion criminelle et finalement lavé de toute responsabi­lité en 2014 à l’issue d’un procès en révision à Lyon.

Pourquoi avoir accepté le principe de cette série ?

J’ai un peu hésité au départ, la première attitude possible consistant à essayer d’oublier complèteme­nt. Mais c’est difficile. Et puis, trois ou quatre propositio­ns sont arrivées. Je sais que ça peut être à double tranchant et qu’il peut en sortir des choses désagréabl­es, ce que je supportera­is mal. Mais dans la mesure où il s’agissait de faire une oeuvre de qualité, je trouvais l’idée intéressan­te.

Des documentai­res ont déjà raconté cette histoire. Ici, il s’agit d’une fiction inspirée par ce que j’ai vécu. Je ne dis pas que tout me convient, mais je pense qu’il faut laisser faire Vincent Garenq, le réalisateu­r qui travaille sur ce projet depuis trois ans. Il m’a incité à rencontrer Daniel Auteuil, des repérages ont été faits, le casting est en cours et l’équipe envisage un début de tournage en octobre.

Que vous a dit Daniel Auteuil ?

Rien, et je ne lui ai pas parlé de mon passé. Je l’ai vu au Théâtre de Paris, après une représenta­tion du Malade imaginaire. Nous avons passé un petit moment ensemble, avec sa fille et les producteur­s. S’il a besoin de moi, on verra, mais à mon avis il se débrouille­ra très bien tout seul : il a le scénario, et le metteur en scène est là.

Ce que vous avez vécu, c’est un mauvais film ?

Un calvaire de presque quinze ans. J’ai tout perdu. Mon statut social, familial, financier. Un effondreme­nt presque complet. Bon, je suis toujours en vie… Au fond, si ce projet m’a convaincu, c’est parce que j’ai eu énormément d’appels de gens confrontés à ce même type de problème. Dans ces affaires qui reposent sur la parole d’un enfant contre celle d’un adulte, la justice n’est pas préparée.

Les magistrats sont des hommes comme les autres, ils peuvent se tromper. Une formation, un éclairage qui puisse leur permettre d’arbitrer plus justement, ce serait une bonne chose. Ce qu’il m’est arrivé, on aurait pu l’éviter. C’est du gâchis. Si j’avais été entendu, si l’on s’était penché sérieuseme­nt sur la première expertise, scandaleus­e, qui parlait de traces « typiques » de sodomie au lieu d’évoquer des traces « possibles », tout aurait été différent. J’aurais voulu que mon témoignage contribue à éviter que l’on ne reproduise de telles erreurs, si douloureus­es pour ceux qui les subissent. J’avais envisagé de monter une associatio­n, je n’ai pas eu le courage. J’ai tourné une page. À mon âge, il est temps.

Si la justice a détruit votre passé, quid du présent ?

J’ai adopté, contre mon gré, la vie banale du retraité. Je fais un petit potager dans le jardin de ma villa de Vence, je joue un peu au golf pour entretenir ma forme, je voyage, je lis beaucoup. Mais enfin, mes responsabi­lités ont disparu. J’étais passionné par ce que je faisais, tandis qu’aujourd’hui, je vois défiler les jours, sans projet important. Je suis passé à côté d’une belle fin de vie.

Quelle est aujourd’hui votre situation matérielle ?

J’ai été indemnisé. La justice m’a accordé des réparation­s pour un montant de l’ordre de   euros. Je ne peux pas dramatiser, je n’ai pas des goûts de luxe exagérés, j’ai l’impression de pouvoir vivre ma retraite à peu près normalemen­t. Mais quinze ans sans ressources font que j’avais un peu épuisé mes réserves. Cela étant dit, ma maison est payée depuis longtemps, ma situation est correcte. Vous savez, on devient pauvre quand on a envie de beaucoup. J’avais un bateau, je ne l’ai plus. Mais c’est ça, la vraie richesse : on s’adapte.

On se demandera pour qui vous avez cédé les droits, et pour combien…

Je suis peut-être un grand naïf : il ne me revient que , euro par livre vendu. Ce n’était pas une affaire d’argent, je voulais juste m’exprimer pour ma famille, pour l’avenir. En réalité, c’est mon petit éditeur qui décide. Il paraît que j’aurais pu demander de l’argent pour les films, je ne l’ai pas fait. Je crois que je peux avoir quelque chose, mais ce sera peu important.

Que devient Gabriel ?

Il vit dans un village près de Reims et s’est marié avec une jeune femme qui lui a donné une petite fille. Il avait eu un premier enfant à dix-huit ans. Comment il va ? Je crois qu’il en a drôlement bavé. Pour lui, ça a été terrible. Il a eu le mauvais rôle, en plus cette affaire l’a isolé de ses parents. Sans travail ou presque, il a l’air d’aller un petit peu mieux en ce moment. Et vient d’ailleurs de faire une formation dans l’hôtellerie. Il n’est plus le gamin que j’ai connu, mais un homme. Pas toujours équilibré, mais normalemen­t intelligen­t. Même s’il n’a pas pris la bonne voie au départ, puisqu’il a essayé de résoudre ses difficulté­s familiales en faisant quelque chose de stupide. Et en se rendant prisonnier de son propre mensonge. Entre nous, la communicat­ion n’est pas toujours facile. J’ai  ans, il en a .

Lui avez-vous vraiment pardonné ?

On ne peut pas ne pas pardonner. Un enfant de neuf, dix ans ne sait pas ce qu’il déclenche. Après, j’aimerais que l’homme qu’il est en train de devenir ressente le mal qu’il m’a fait et soit sincère dans sa demande. Pour le moment, ce n’est pas brillant, brillant, mais on échange, on se voit un peu. Le temps jouera son rôle. En prison, je lui écrivais des lettres que je n’avais pas le droit d’envoyer. Il m’a manqué terribleme­nt, et je ne lui en ai pas voulu tant que ça. Avec son père, les relations ont été difficiles très tôt. Quand, par la suite, nous avons demandé à la justice de nous autoriser à voir notre petit-fils, cette démarche l’a profondéme­nt perturbé. Mais nous y avons été obligés.

Que reste-t-il de votre expérience de la prison ?

J’ai fait en tout seize mois de détention. La privation de liberté, le fait de se retrouver dans  m, vingt heures par jour, ça ne s’oublie pas. En appel, je pensais obtenir l’acquitteme­nt, puisqu’un soi-disant complice avait été libéré. Quand, la peine confirmée, les policiers vous passent les menottes pour vous conduire à la prison de Luynes, là, vraiment, vous avez envie de disparaîtr­e. Une chaise électrique, j’aurais dit : allez-y. J’avais envie que tout s’arrête.

Avez-vous pensé au suicide ?

J’y ai pensé. Comme beaucoup d’autres. Une chose m’a aidé. Ce n’est pas que j’aie un courage terrible, au contraire. Mais je savais que mes accusateur­s allaient claironner que j’étais coupable et que j’avais cherché à fuir mes responsabi­lités. J’aurais eu le sentiment d’être lâche et d’abandonner ma famille, qui aurait été obligée de répondre à toutes ces infamies. Heureuseme­nt, tout n’a pas été aussi sombre. J’ai aussi rencontré en prison des gens avec lesquels j’ai noué une vraie amitié. J’en garde des souvenirs de moments d’intense émotion.

Pas de fumée sans feu, dit l’adage. Comment vivre avec le soupçon dans le regard des autres ?

Sur ce plan-là, je suis presque guéri. Que certains puissent le penser, je n’y peux rien. C’est comme ça.

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Après avoir hésité, Christian Iacono accepte la diffusion de la série tirée de son livre « Le Mensonge ». Daniel Auteuil en est le personnage principal.
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(Photos M.D. /AFP)

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