Nice-Matin (Cannes)

« Un problème avec le petit »

Que faire quand un enfant de neuf ans vous demande quelles études il doit suivre pour devenir pilote de F1 ? Réponses, de Normands certes, mais surtout de parents. Ceux d’un certain Pierre Gasly

- LAURENT SEGUIN

C’est l’itinéraire d’un enfant pas forcément plus gâté que la moyenne. Le parcours d’un gamin qui, n’a pas eu besoin de naître « fils de... » pour se tailler un destin tiré au cordeau, limpide comme ces trajectoir­es qu’il trace depuis sa plus tendre enfance sur les circuits. Le chemin d’un minot né pour être derrière un volant. Ce volant avec lequel son grandpère, membre de l’équipe de France de karting dans les années 60, taquinait, bien avant lui, les aînés anglais de Lewis Hamilton. Ce volant que son père a lui aussi pris le temps de quelques rallyes, avant de le laisser à ses quatre premiers fils pendant qu’il baladait le petit dernier dans sa poussette au bord des circuits de karting. Ce volant qu’il a naturellem­ent fini par serrer de ses mains d’enfants, quand d’autres tenaient pistolets et épées en plastique entre les leurs.

« Pierre a dû respirer des vapeurs d’essence et des odeurs d’huile un peu trop jeune », sourit aujourd’hui son papa, Jean-Jacques Gasly, comme pour expliquer une passion née très tôt et peut-être même avant le premier cri de son cinquième fils, poussé un heureux jour de février 1996.

Un fils qui s’est donc très vite assis dans un kart, sur le circuit d’Anneville-Ambourvill­e, chez lui, en Seine-Maritime. « Il avait seulement six ans, se souvient Jean-Jacques Gasly. Et il était trop petit pour atteindre la pédale de frein ». Mais freiner, pour quoi faire ? Quand on est né pour accélérer. Alors oui, c’est bien l’accélérate­ur qu’il a actionné. Foncer. Foncer encore et toujours et ne jamais hésiter, sauf peut-être pour demander à son père :

« Papa, qu’est-ce qu’il faut faire comme études pour devenir pilote de F1 ? »

Jusqu’en Ouganda pour trouver des financemen­ts

« Je lui ai répondu qu’il devait d’abord être premier de sa classe et qu’après, on discuterai­t », raconte sa maman, Pascale. Une maman vers laquelle Jean-Jacques se souvient s’être tourné pour lui annoncer : «Je crois qu’on a un problème avec le petit ». Avec «lepetit» , toujours décidé à jouer la gagne, à l’école comme sur les circuits, pas vraiment.

Mais avec les exigences pécuniaire­s d’une discipline pas franchemen­t réputée pour son accessibil­ité, oui, forcément. «On lui a offert son premier kart à neuf ans. Un kart d’occasion, précise le papa. Je gérais les pneus et la chaîne. Pour le moteur, c’était un Honda de quatre temps et il n’y avait rien à faire dessus », raconte Jean-Jacques, qui dirigeait alors une petite entreprise de sérigraphi­e la semaine, avant de mettre les mains dans le cambouis le week-end. « On a toujours tout fait au minimum », précise Pascale. Oui, mais

‘‘ voilà, ce «minimum », pour les Gasly, c’était déjà beaucoup.

Alors il a fallu trouver des sponsors. D’autant plus qu’au «fur et à mesure que Pierre progressai­t, les budgets augmentaie­nt », raconte Pascale. Alors la maman se démène, remue ciel et terre, y compris celle d’un Ouganda pourtant en pleine guerre civile, où elle se rend en espérant décrocher un budget de 250 000 euros. « On nous proposait 250 000 euros pour une saison qui coûtait justement 250 000 euros. À l’arrivée, on a perdu 3000 euros ». Le prix de deux billets d’avion pour un aller-retour, quand le petit dernier s’offre lui un aller simple vers les sommets. Des sommets dont il se rapproche, toujours plus vite. Si vite qu’à seulement 15 ans, Pierre découvre la F4 et décroche une troisième place en championna­t de France dès sa première saison dans une monoplace. « Dans chaque nouvelle catégorie, il n’avait pas le choix, il fallait qu’il soit bon très vite et dès ses débuts. Et nous, on vivait les courses avec beaucoup de stress parce qu’à chaque casse, c’était des factures qui arrivaient », raconte Pascale, en se souvenant d’un aileron coupé en deux par un concurrent dans la voie des stands et payé 1500 euros. « Tout ça, c’était jusqu’à ce qu’il rentre chez Red Bull » ,annonce Jean-Jacques, un brin soulagé.

« Ils nous ferment l’accès aux paddocks »

Sauf que d’autres soucis sont arrivés. En prenant les cordons de la bourse, Red Bull s’est aussi employé à couper un autre cordon, ombilical. « Ils nous ferment l’accès aux paddocks en nous assurant qu’il est maintenant chez Red Bull pour gagner le championna­t et que tout ce qui n’est pas nécessaire pour le gagner, n’a rien à faire là, déplore Pascale. Il paraît qu’ils veulent que Pierre s’endurcisse et qu’il ait plus de maturité. Alors Helmut Marko (conseiller sportif de l’écurie autrichien­ne, Ndlr) lui a dit qu’il pouvait venir avec sa petite amie,

mais pas avec sa maman ».

Une maman qui, n’en déplaise à Helmut Marko, restera toujours une maman. « Je ne tremble pas plus maintenant que quand il avait neuf ans, conclut Pascale. J’étais déjà terrorisée alors qu’il n’avançait pas. Que j’ai peur ou pas ne changera rien à son destin ».

Ce destin qu’elle savait tout tracé. Cet itinéraire de son dernier enfant pas plus gâté que les autres, mais taillé pour devenir un immense champion.

Il paraît qu’ils veulent que Pierre s’endurcisse et qu’il ait plus de maturité. Alors Helmut Marko lui a dit qu’il pouvait venir avec sa petite amie, mais pas avec sa maman”

‘‘ On vivait les courses avec beaucoup de stress parce qu’à chaque casse, c’était des factures qui arrivaient”

 ?? (Photos : DR, Patrick Blanchard/Luc Boutria/Dominique Leriche) ?? Comme son époux Jean-Jacques, Pascale Gasly a toujours été derrière Pierre, le dernier de ses cinq fils, tous passionnés de sports mécaniques.
(Photos : DR, Patrick Blanchard/Luc Boutria/Dominique Leriche) Comme son époux Jean-Jacques, Pascale Gasly a toujours été derrière Pierre, le dernier de ses cinq fils, tous passionnés de sports mécaniques.

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