Nice-Matin (Cannes)

« Ce que j’ai vu ne donne pas envie de continuer… »

Ancien procureur médiatique et polémique, Eric De Montgolfie­r était de retour à Nice pour un colloque à la fac de droit. Fidèle à ses habitudes, il tacle les politiques et plaide pour la justice

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

P« resse et procès pénal » : en la matière, Eric De Montgolfie­r s’y connaît. L’ex-procureur de la République de Valencienn­es (l’affaire VA-OM) et Nice (1999-2012) y était de retour, il y a quelques jours, invité à ce colloque organisé à la faculté de droit par Christine Courtin, du Centre d’études et de recherches en droit des procédures (CERDP). À 72 ans, ce magistrat célèbre pour ses saillies médiatique­s a perdu en coffre, mais en aucun cas son esprit critique et caustique. Jugez plutôt.

Pourquoi être venu évoquer à Nice la relation entre presse et justice ?

Parce que c’est un thème que j’ai pratiqué. J’ai souvent utilisé – ou plutôt, travaillé avec – les médias.

« Utilisé » : lapsus ? Vous-même avez su jouer la carte médiatique…

Bien sûr, je les ai utilisés aussi. J’avais besoin que la presse s’empare de certains dossiers. À Chambéry, on avait découvert de la légionello­se dans les thermes d’Aix-les-Bains. Le microcosme local s’était empressé de recouvrir cela pour qu’on n’en sache rien. Le problème, c’est qu’il y avait des malades… Est-ce que je n’allais rien dire ? On a souvent besoin de la presse. Cela ne veut pas dire que l’on est toujours enthousias­te de la façon dont elle traite les dossiers. On aimerait avoir une presse aussi mesurée que l’on souhaite que les procureurs soient indépendan­ts… C’est vous dire !

En tant que figure médiatique de la justice, regrettez-vous d’avoir parfois trop parlé, ou pas assez ?

On rate forcément des choses. Mais est-on sûr de savoir ce qu’on a raté ? « Pas assez parlé », sans doute. Au ministère de la Justice, j’ai vu enterrer tellement de dossiers sur des politiques d’un certain rang… Par loyauté, je me suis tu. Aurais-je dû prendre mon drapeau et crier au scandale, comme d’autres pendant la guerre ? J’en voyais certains nous donner des leçons de morale à la télévision, alors que je savais ce qu’on ne leur avait pas reproché. Ils ne sont pas tous morts, d’ailleurs…

Des noms ?

(Rires) Ah, je ne vous les ai jamais donnés, je ne vais pas commencer !

Quel regard portez-vous sur le procès d’une vieille connaissan­ce, Bernard Tapie ? Et comment voyez-vous son avenir ?

Je respecte sa souffrance, je suis plein de compassion. Un procureur n’a pas à haïr ou aimer. Quant au dossier, tout le monde en parle, mais qu’en savent-ils ? Ne l’ayant pas ouvert, je ne vais pas en parler.

Un procès est en cours à Nice, lié aux fichiers HSBC que vous avait remis Hervé Falciani en . Estce une satisfacti­on de voir de tels dossiers arriver enfin à la case tribunal ? Ou une frustratio­n que l’essentiel soit remonté à Paris ?

Mais je ne suis pas frustré ! Je ne voudrais pas mourir frustré, quelle horreur… D’ailleurs, j’ai conservé à Nice les dossiers qui concernaie­nt Nice. Ces fichiers démontraie­nt une fraude importante dans notre pays. Ma satisfacti­on, c’est que la Suisse a un peu changé sa façon de voir les choses en matière d’assistance fiscale. Je me souviens de leurs protestati­ons, parfois outrageant­es.

Autre dossier qui a rythmé vos années niçoises : le crash de la caravelle Ajaccio-Nice. Cinquante ans après, les victimes réclament toujours la levée du secret-défense. Approuvez-vous leur démarche, vous qui leur aviez opposé l’écueil de la prescripti­on ?

Franchemen­t, si un missile s’est égaré sur un avion de ligne, je ne vois pas ce que le secret-défense vient faire là-dedans. C’est trop facile de cacher une faute – si c’en est une. Le secret-défense est fait pour protéger ce que l’on appelait autrefois la raison d’Etat. Encore faut-il que ce soit une véritable raison… Là, des familles disent : « C’est un missile qui a détruit l’avion et tué nos parents. » Je pense qu’elles ont le droit de le savoir. Je n’imagine même pas qu’on leur refuse l’accès à des pièces militaires qui le démontrera­ient.

Sur la réforme de la justice portée par Nicole Belloubet, que trouvezvou­s à boire et à manger ?

Mon Dieu, comme je déteste l’idée que les politiques s’occupent de réformer la justice ! J’aimerais être assuré qu’ils croient à elle, qu’ils ont envie de la préserver. Pendant la présidenti­elle, j’avais fait soutenir à Benoît Hamon qu’il fallait détacher davantage la justice du politique. Bon, vous connaissez son résultat…

Que retenez-vous de cette expérience à ses côtés ?

Beaucoup de tristesse. Et ce n’est pas à cause du résultat. Quand vous êtes proche d’un candidat et que vous voyez des gens qui pensent déjà à la soupe… Je n’avais pas besoin d’être écoeuré en la matière, mais ce que j’ai vu, pffui ! (Silence) Ça ne donne pas envie de continuer…

Conseiller­iez-vous à Benoît Hamon de rester en politique ?

Je n’ai pas de conseil à lui donner. C’est quelqu’un qui a des ambitions, pour ce pays aussi, et qui est généreux. J’aime bien les gens généreux. C’est pour ça que je lui avais dit oui. Ce revenu universel sur lequel on avait tant daubé, j’ai l’impression que ça revient en ce moment… Que l’on s’occupe des plus pauvres et pas que des plus riches, ça me plaisait bien.

Pour revenir à cette réforme, les politiques ont du mal à définir quelle justice on veut en France ?

Je ne suis pas persuadé que le pouvoir en place tienne beaucoup à l’indépendan­ce des procureurs de la République. Ça me peine un peu. J’aimerais bien qu’il y ait du recul du politique. Partout. J’entends dire qu’on a recruté d’anciens magistrats en nombre dans cette belle ville de Nice qui devait manquer de déontologu­es… (Après un soupir narquois) Je ne suis pas tellement d’accord. Ce n’est pas notre place.

Vous avez bien rejoint l’équipe politique de Benoît Hamon !

Vous m’avez entendu dire que je voterai pour lui ? Jamais ! Je suis intervenu comme un technicien qui conseille quelqu’un qu’il connaît et dont il admire quelques qualités.

‘‘

J’aimerais que les politiques croient en la justice”

‘‘

Le meilleur, c’est celui qui n’est pas là !”

Seriez-vous tenté de vous engager dans les municipale­s ?

(Le regard horrifié, en murmurant) Ah non, jamais, jamais !

Quel regard portez-vous sur Nice et les combats qui s’y jouent [entre Christian Estrosi et Eric Ciotti] ?

Je vois qu’il y a un combat ardent entre deux anciens amis. Ça ne me surprend pas. Il y a quelques années déjà, j’avais dit à l’un d’eux : « Alors, décidez-vous ! Ce que vous dites en coulisses, dites-le donc sur la place publique. » La réponse avait été: « Le premier qui dégaine est mort. » Je n’ai pas oublié cette jolie formule… Je ne sais pas qui est le meilleur. En général, je crois que le meilleur, c’est celui qui n’est pas là !

Qu’avez-vous pensé des difficulté­s de l’actuel procureur de Nice dans la gestion de l’affaire Legay ?

C’est bien triste. Pourquoi parler tout de suite ? Pour cela, il faut être sûr. Si, à  heures de distance, vous dites des choses différente­s, on vous regarde.

Et si le président de la République et le ministre de l’Intérieur ont déjà pris parti, on va dire :

« De qui a-t-il reçu les ordres ? »

Je crois que, dans ces affaires-là, il vaut mieux attendre.

Quelles sont vos attaches, voire votre attachemen­t pour Nice ?

Maintenant que je n’ai plus une fraction des Niçois sur le dos, Nice, c’est autre chose ! J’y ai deux filles. Nice est une ville magnifique. Si j’arrive à y trouver le logement que je souhaite, j’y reviens comme un Niçois. Enfin, presque comme un Niçois… Il y a des habitudes que j’espère ne jamais prendre.

Vous crachez encore et toujours dans la soupe !

Je ne crache pas dans la soupe. Je dis aux Niçois qu’il y a des choses pas forcément supportabl­es chez eux. Beaucoup de Niçois le disent ! Eux ont le droit, et moi pas ?

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