Nice-Matin (Cannes)

Depardieu, sa plus belle histoire à Ramatuelle

En chantant l’amie Barbara, dimanche soir au Festival, l’artiste pantagruél­ique a ému aux larmes, vingt-neuf ans après le passage de la « dame en noir » sur cette même scène

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Fusion de deux légendes, défilé people digne de feu Champs-Élysées (voir en pages centrales), mystères sur des venues présidenti­elles et colère homérique avec claquement de porte (lire ci-contre)… Il n’y a qu’au Festival de Ramatuelle que tel scénario pouvait s’écrire. Pour sa dernière, le rendezvous culturel avait en tout cas décroché la timbale en présentant Depardieu chante Barbara.

Peu avant 22 heures, tous les regards sont émerillonn­és et les cous tendus vers le colosse qui s’infiltre dans la pénombre. Longue chemise noire, Gérard Depardieu, contourne le piano qui trône en milieu de scène et se juche sur un tabouret. À ses côtés, celui qui était déjà sur la scène aux huit colonnes en 1990 pour accompagne­r Barbara, Gérard Daguerre. Le tour de chant peut commencer.

«Grossier mais pas méchant»

S’il débute le souffle court, le chant très vite prend de l’ampleur. Mon enfance, Ô mes théâtres, Du bout des lèvres, Marienbad, Attendez que ma joie revienne, Ma plus belle histoire d’amour… défilent en alternance avec des extraits d’interviews de Barbara, que Gérard Depardieu s’approprie à la première personne. « Je n’ai pas le talent de vivre à deux, je n’ai peut-être pas le talent de l’amour », cite notamment celui qui retrouve pour l’occasion ses accents d’acteur.

Sans omettre de faire du Depardieu. Comme ce moment où il confie « chercher une serviette parce [qu’il] coule », puis jure – « Oh m... ! » – faute de la trouver. « Je suis grossier mais pas méchant », s’empresse-t-il d’ajouter tandis que les rangs ultra-garnis du théâtre de plein air pouffent. La mise en scène signée JeanPaul Scarpitta fait la part belle à un jeu de lumières étudié. Certaines brillent doucement sur son visage, dans un vague halo, d’autres strient la nuit d’échardes cristallin­es et enfumées. Peu à peu, Depardieu découvre le linceul de gaze qui enveloppe la légende Barbara et empêche encore nombre de mélomanes de s’en saisir. Souvent durant l’interpréta­tion, il lève les yeux vers la voûte céleste poudrée d’étoiles comme pour solliciter son consenteme­nt. Sur Le Soleil noir, il hausse le ton et le bras. La voix se fait plus puissante sans pour autant chercher la performanc­e.

« L’une des femmes avec laquelle j’ai le plus ri »

Trois prompteurs sont disposés sur scène, mais n’influent en rien sur le jeu de l’artiste qui de toute façon reste la plupart du temps aimanté au piano. « C’est juste pour me rafraîchir la mémoire ! », blague-t-il. « Barbara est une des femmes avec laquelle j’ai le plus ri. Elle s’étonnait qu’on la prenne pour une femme triste. À cause du noir peutêtre… », glisse, après le sautillant Au bois de Saint-Amand, celui qui partagea la scène avec elle pour Lily passion en 1986.

Jusque-là éclairé en noir et blanc, le spectacle vire au rouge pour L’Aigle noir interprété tout en murmures mais déclencheu­rs de « hourras ». Nantes, Le Mal de vivre ou Göttingen suivront avant la dernière note. Gérard Daguerre salue. Les spectateur­s, debout, ont le regard embué. Depardieu, chemise collée de sueur, redistribu­e ses roses rouges aux dames des premiers rangs. Les premiers coussins voltigent… « C’est une attaque ? », lance-t-il avant l’ultime rappel, Une petite cantate .« Je vais vous demander de chanter. Pas de feignants à Ramatuelle. À Brégançon si vous voulez, mais pas ici ! », s’amuse-t-il. Depardieu s’étire, salue à son tour, pouces levés, en nage… « Je ne sue que du vin diront les mauvaises langues, mais j’ai perdu beaucoup d’eau ce soir », termine-t-il, toujours sur le ton de l’humour, sans jamais en faire trop sur le cajolement de ses souffrance­s.

En de tels instants, chacun est conscient qu’il suffit que nous les repassions au fer de la mémoire pour que les rêves froissés de la Louve disparue en 1997 créent une nouvelle émeute des coeurs.

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(Photos Luc Boutria) L’artiste est reparti en nage, sous les hourras.

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