Nice-Matin (Cannes)

Urgences : la fin et les moyens

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Magie du chiffre. « Urgences :  millions d’euros de moyens supplément­aires engagés sur la période - », affiche le gouverneme­nt. « Pas assez, pas assez ! », scandent en choeur opposants et grévistes. Nous sommes en France où tout finit non par des chansons mais par la querelle des moyens. Mais est-ce vraiment le sujet ? En  ans, le nombre de passages aux urgences a doublé, pour atteindre plus de  millions par an. Un Français sur  ! Chiffre aberrant qui doit bien moins au « manque de moyens » (ils augmentent de  % par an et dépassent les  milliards) qu’à une succession de décisions mal pensées ou mal exécutées, qui ont déstabilis­é le système et envoyé les malades s’entasser dans un entonnoir. Citons : l’applicatio­n bête et méchante du numerus clausus (  médecins par an au début des années , moins de   dans les années  ; la suppressio­n des gardes des médecins de ville en  (« Le plus grand mal fait à l’organisati­on de l’accès aux soins », dixit l’urgentiste Patrick Pelloux, qui sait de quoi il parle). Ajoutez un mode de financemen­t pousse au crime (les structures d’urgence sont payées au nombre de passages, ce qui n’encourage pas les efforts de régulation) ; la difficulté des services d’urgence à recruter ; des malades qui ne savent plus à quel numéro d’appel se vouer, entre le , le , le , le  … Et aussi la pauvreté, la déglingue sociale. Le résultat, vous l’avez sous les yeux : des patients (c’est le mot) obligés de poireauter des heures dans des salles d’attente bondées ou des couloirs encombrés, des soignants au bord de la crise de nerfs... Comment sortir du piège ? L’urgence des urgences n’est sûrement pas de remettre deux thunes dans le bastringue et poursuivre indéfinime­nt la course entre les moyens et les besoins. Il faut briser l’engrenage. Et pour cela désengorge­r les urgences en dirigeant vers des structures plus légères, mieux adaptées, les  à  % de malades (les estimation­s varient, mais personne ne nie le phénomène) qui n’ont pas frappé à la bonne porte. Concrèteme­nt, cela signifie diversifie­r les parcours de soins, multiplier les alternativ­es aux urgences – maisons de santé, groupement­s médicaux et autres –, bien fléchées, identifiée­s et offrant de larges plages d’ouverture ; réformer la tarificati­on ; créer des filières d’admission directes pour les personnes âgées. Beaucoup de ces idées ont déjà été testées, en France ou chez nos voisins. Ça marche. Aux PaysBas, l’organisati­on des généralist­es en coopérativ­es a fait chuter de moitié les entrées directes aux urgences. Au Danemark, la simple création d’un centre de tri et d’orientatio­n téléphoniq­ue les a fait baisser d’un tiers. Agnès Buzyn a repris l’idée dans son projet de réforme, pompeuseme­nt baptisé « Pacte de refondatio­n des urgences ». Il s’agit en fait de mesures de bon sens, dont beaucoup s’inspirent des préconisat­ions de la Cour des Comptes. C’est dans cette direction qu’il faut aller. En ne se trompant pas sur la fin et les moyens. La fin, ce n’est pas de réduire la couverture médicale, mais de soulager les urgences pour les rendre plus performant­es, améliorer la prise en charge des malades et les conditions de travail des personnels. Les moyens ? Ils suivront. Car la rationalis­ation des urgences ouvre un gisement d’économies. Une réforme qui rapporte ? Ce n’est pas si fréquent. Pour mémoire : le coût moyen pour l’assurance maladie d’un passage aux urgences est d’environ  euros. Le tarif de la consultati­on de jour chez un généralist­e, de  euros. Les moyens, ils sont là.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France