Urgences : la fin et les moyens
Magie du chiffre. « Urgences : millions d’euros de moyens supplémentaires engagés sur la période - », affiche le gouvernement. « Pas assez, pas assez ! », scandent en choeur opposants et grévistes. Nous sommes en France où tout finit non par des chansons mais par la querelle des moyens. Mais est-ce vraiment le sujet ? En ans, le nombre de passages aux urgences a doublé, pour atteindre plus de millions par an. Un Français sur ! Chiffre aberrant qui doit bien moins au « manque de moyens » (ils augmentent de % par an et dépassent les milliards) qu’à une succession de décisions mal pensées ou mal exécutées, qui ont déstabilisé le système et envoyé les malades s’entasser dans un entonnoir. Citons : l’application bête et méchante du numerus clausus ( médecins par an au début des années , moins de dans les années ; la suppression des gardes des médecins de ville en (« Le plus grand mal fait à l’organisation de l’accès aux soins », dixit l’urgentiste Patrick Pelloux, qui sait de quoi il parle). Ajoutez un mode de financement pousse au crime (les structures d’urgence sont payées au nombre de passages, ce qui n’encourage pas les efforts de régulation) ; la difficulté des services d’urgence à recruter ; des malades qui ne savent plus à quel numéro d’appel se vouer, entre le , le , le , le … Et aussi la pauvreté, la déglingue sociale. Le résultat, vous l’avez sous les yeux : des patients (c’est le mot) obligés de poireauter des heures dans des salles d’attente bondées ou des couloirs encombrés, des soignants au bord de la crise de nerfs... Comment sortir du piège ? L’urgence des urgences n’est sûrement pas de remettre deux thunes dans le bastringue et poursuivre indéfiniment la course entre les moyens et les besoins. Il faut briser l’engrenage. Et pour cela désengorger les urgences en dirigeant vers des structures plus légères, mieux adaptées, les à % de malades (les estimations varient, mais personne ne nie le phénomène) qui n’ont pas frappé à la bonne porte. Concrètement, cela signifie diversifier les parcours de soins, multiplier les alternatives aux urgences – maisons de santé, groupements médicaux et autres –, bien fléchées, identifiées et offrant de larges plages d’ouverture ; réformer la tarification ; créer des filières d’admission directes pour les personnes âgées. Beaucoup de ces idées ont déjà été testées, en France ou chez nos voisins. Ça marche. Aux PaysBas, l’organisation des généralistes en coopératives a fait chuter de moitié les entrées directes aux urgences. Au Danemark, la simple création d’un centre de tri et d’orientation téléphonique les a fait baisser d’un tiers. Agnès Buzyn a repris l’idée dans son projet de réforme, pompeusement baptisé « Pacte de refondation des urgences ». Il s’agit en fait de mesures de bon sens, dont beaucoup s’inspirent des préconisations de la Cour des Comptes. C’est dans cette direction qu’il faut aller. En ne se trompant pas sur la fin et les moyens. La fin, ce n’est pas de réduire la couverture médicale, mais de soulager les urgences pour les rendre plus performantes, améliorer la prise en charge des malades et les conditions de travail des personnels. Les moyens ? Ils suivront. Car la rationalisation des urgences ouvre un gisement d’économies. Une réforme qui rapporte ? Ce n’est pas si fréquent. Pour mémoire : le coût moyen pour l’assurance maladie d’un passage aux urgences est d’environ euros. Le tarif de la consultation de jour chez un généraliste, de euros. Les moyens, ils sont là.