« La Chine est entrée depuis longtemps dans votre salon »
Emmanuel Lincot, éminent sinologue et professeur à l’institut catholique de Paris étudie l’impact de la diplomatie culturelle. Demain, salle Miramar, il évoquera « la nouvelle route de la soie »
La Chine, 2e puissance économique mondiale, intrigue autant qu’elle fascine. Quelle position l’Europe doit, ou plutôt, peut-elle encore adopter ? Le professeur Emmanuel Lincot, dont le visage ne vous est très certainement pas inconnu — il est régulièrement sollicité par les médias nationaux pour apporter son expertise géopolitique — donnera ce vendredi soir, salle Miramar, une conférence exceptionnelle à l’invitation du Lions Club Le Cannet Mougins. Il abordera notamment la politique des nouvelles routes de la soie — initiée à partir de 2013 par Xi Jinping : une stratégie de nature commerciale mais aussi un projet culturel à vocation mondiale. « La Chine vise à étendre son influence notamment à destination des élites africaines ou centrasiatiques », prévient ce sinologue passionné. Et passionnant !
L’origine de votre intérêt pour la Chine ?
L’ennui d’une société française qui sortait de Mitterrand. En déclin ! J’ai fait ma
« coopération », comme on disait à l’époque (le CSN) en donnant des cours en Chine dans une fac chinoise. Puis j’ai prolongé mon séjour en travaillant à l’ambassade de France, puis comme journaliste.
Désormais, on parle « Des routes de la soie » et non plus de «La route de la soie ». Pourquoi ?
Déjà, sur le plan historique, ce sont des axes de communication extrêmement anciens. Mais ce dont on parle aujourd’hui, c’est un projet politique récent qui désigne, au pluriel, plusieurs routes de la soie, pour l’essentiel, terrestre et maritime, sachant que chacune d’entre elle englobe également d’autres réalités continentales. C’est la raison pour laquelle les Américains l’ont appelé « One belt, one road ».
Il s’agit de ceinturer des régions sources nécessaires aux intérêts chinois. C’est un projet
« monde », c’est-à-dire qu’au commencement et à l’officialisation de ce projet par Xi Jinping en , on envisageait des routes qui relieraient la Chine à l’Union européenne, qui reste aujourd’hui son er partenaire commercial. Et non pas les ÉtatsUnis ou le Japon. Depuis lors, ces routes de la soie englobent aussi le continent africain. Et elles vont très probablement s’étendre à l’Amérique du Sud. C’est un projet hégémonique.
Comment l’Union européenne et les autorités françaises devraient répondre à cette expansion ?
C’est tout l’enjeu, le sujet d’avenir. Que l’on soit pour. Ou contre, comme les États-Unis. Ce projet va dicter le « la » des relations internationales pour les décennies à venir. C’est un projet commercial, culturel aussi, parce que la Chine veut exporter un modèle, une culture de contrôle politique autoritaire, dictatorial !
Il faut être vigilant, que l’on soit comme ceux que j’appelle les « sino-béats » — c’est-à-dire d’un conservatisme bon teint, qui voit dans le système autoritaire chinois une solution pour la France. Ce sont souvent les mêmes qui ne jurent que par Vladimir Poutine. Ou que l’on soit d’une grande indifférence collective liée au fait que ce pays est encore entouré d’une aura exotique, qui ne nous concerne pas vraiment… C’est oublier un peu vite que partout chez vous, dans votre salon, vous êtes entourés de produits made in China. Il faut donc réagir à temps. Nos entreprises doivent faire preuve de prudence en matière d’intelligence économique, d’espionnage industriel notamment. Nous avons des atouts considérables. Les Français, par dénigrement ou ignorance, ne prennent pas conscience de ce qu’ils possèdent.
Quelles sont les ressources naturelles dont a besoin la Chine aujourd’hui ?
Absolument de tout. La Chine est énergivore. Même si son taux de croissance est en récession : on est à un peu plus de %. Les ressources étrangères
— et avant tout les hydrocarbures en provenance de l’Afrique ou du Moyen-Orient — sont absolument vitales pour continuer à alimenter cette croissance économique chinoise qui est du jamais vu dans l’histoire des hommes !
De à , on a eu une croissance à deux chiffres nonstop ! Dans une grande partie des régions de la Chine, on est passé du stade du néolithique le plus primaire à une société du
XXIe siècle, sans transition aucune ! Vous pouvez imaginer les bouleversements que cela induit. Elle reste extrêmement dépendante vis-à-vis de l’extérieur. C’est pour cela qu’elle mène cette politique multilatérale vers l’Afrique. En même temps, elle a besoin de la haute technologie américaine qui va lui faire défaut, compte tenu des mesures de rétorsion mises en oeuvre par Trump. C’est pour cela que le seul partenaire fiable dont elle peut encore espérer quelque chose, pour transformer son économie, c’est l’Union européenne. Sauf que la GrandeBretagne s’est retirée du jeu, que l’Allemagne n’a jamais été une puissance politique depuis . Donc, le seul interlocuteur pour toute l’UE, c’est finalement la France. C’est Emmanuel Macron. C’est une opportunité formidable, même s’il faut être extrêmement vigilant, comme le rappelait le président français dernièrement. Ces routes de la soie doivent donc entrer dans la réciprocité ! Macron doit d’ailleurs se rendre en Chine pour la e fois de son mandat début novembre.
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Le er partenaire économique de la Chine reste l’Europe”