Nice-Matin (Cannes)

Les coulisses du sauvetage

Mardi midi, près de l’aéroport, trois sapeurs-pompiers plongeurs ont évacué deux occupants d’une voiture immergée dans les flots furieux. L’un d’eux raconte ce sauvetage hors norme

- Recueilli par CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Hors norme ? Ce sauvetage l’est bel et bien, pour l’adjudant-chef Thomas Isakovitch « au vu des conditions, mais aussi du caractère d’urgence. » Mardi, ce sapeur-pompier niçois et ses collègues se sont livrés à une course contre la montre pour secourir deux retraités, prisonnier­s d’une voiture immergée dans le fleuve Var.

Les secouriste­s ne pouvaient plus rien pour le septuagéna­ire : le malheureux aurait fait un malaise au volant. Sa passagère, 83 ans, a en revanche été sauvée. « Elle revient de loin », selon l’adjudant-chef Isakovitch. À 42 ans, dont 21 de carrière pro, ce pompier est plongeur et chef de bord secours côtier au CIS la Tour-Rouge, au port de Nice. Avec deux coéquipier­s, il a rejoint les victimes au milieu des flots déchaînés, au péril de sa vie. Récit.

Quelle alerte avez-vous reçue ?

Nous sommes appelés pour une voiture tombée dans le Var avec trois personnes à bord. De nombreux personnels et engins ont été dépêchés sur zone. Les quatre pompiers de garde partent avec le matériel de risque inondation, et subaquatiq­ue.

Quelle situation trouvez-vous ?

La voiture est au milieu du fleuve, pas stabilisée, à - m du bord. Les personnes ont été vues et entendues, mais on ne les voit pas du bord. Le niveau du Var est haut, voire très haut.

Vos collègues ont tenté une première approche ?

L’équipage d’un VSAB a essayé de se mettre à l’eau pour accéder au véhicule. Ces collègues ont beau être sportifs et aguerris, c’est infructueu­x. Et dangereux.

C’est donc à votre tour de vous jeter à l’eau...

Avec mes deux équipiers, le sergent-chef Cédric Duboel et le caporal-chef Nicolas Borrely, nous essayons de « lire » le plan d’eau. Nous voyons le véhicule bouger, le niveau d’eau qui est monté... Il n’y a plus de marge de manoeuvre. Nous décidons donc une mise à l’eau immédiate.

Vous atteignez la voiture à la seule force des bras ?

Nous partons une centaine de mètres en amont. En nageant, nous parvenons à atteindre le véhicule en évitant les remous.

Nous sommes équipés de gilets néoprènes et de casques. Mais nous ne sommes pas encordés : dans une telle situation, c’est plus dangereux qu’autre chose...

Comment se passe le contact ?

Nous nous agrippons aux barres du toit du véhicule. Nous entendons taper à l’intérieur. À ce moment-là, seuls émergent encore le toit et le haut du parebrise... Il y a peu de temps pour la réflexion. Ça se fait à l’instinct. Mes collègues se mettent d’un côté, moi de l’autre. Nous réussisson­s à ouvrir une portière à l’aide de petits brise-glace, et à sortir la dame, puis le monsieur. Je pars avec elle, un collègue avec lui, et le troisième continue à chercher si quelqu’un d’autre est à bord.

Retour sur la terre ferme...

Tout le dispositif terrestre était en ordre de bataille pour nous venir en renfort. En dérivant, nous nous sommes retrouvés sous les pistes de l’aéroport, dans une zone sécurisée dont les grilles ont compliqué l’accès. Mais nous avons vraiment senti le collectif !

Dans quel état se trouvait la passagère secourue ?

Elle était à l’extrême limite de fatigue et d’hypothermi­e. Elle parlait très peu, émettait des râles... Elle revient de loin.

Elle a pu être sauvée, mais le conducteur est décédé. Quel sentiment prédomine ?

Malheureus­ement, le monsieur était inconscien­t... L’idéal aurait été de sortir les deux personnes vivantes. Mais c’était vraiment une interventi­on très, très délicate. Au vu de la situation, c’est un soulagemen­t d’avoir ramené cette dame. C’est une miraculée ! Je n’ai pas de blessé parmi mes hommes, c’est quand même un point positif.

Qu’avez-vous à l’esprit lorsque vous vous jetez ainsi à l’eau, au péril de votre vie ?

Ça va très vite. On a le matériel pour ça, on est préparé pour ça. Le milieu aquatique, c’est notre domaine. On a envie que d’une chose : aider les collègues. Le risque, j’y pense pour mes hommes. On y pense tous...

C’est l’une des interventi­ons les plus chaudes de votre carrière ?

Oui, c’était l’une des plus tendues. C’était sur le fil.

Votre abnégation est à l’image de l’engagement des pompiers sur le front des intempérie­s ?

Clairement, oui ! Avec ce genre d’interventi­on, la solidarité est décuplée. Cela montre que les importants moyens dans notre région ne sont pas mis en place pour rien. On fait tous ce métier parce qu’on a envie d’aider. C’est motivant, c’est intense. Ça donne du sens à nos vies.

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(Photo Sdis-) L’adjudant-chef Isakovitch et ses équipiers se sont livrés à une course contre la montre.

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