Nice-Matin (Cannes)

Mohamed Sifaoui, au nom de la République laïque

Le journalist­e franco-algérien réfugié en France, ciblé par plusieurs plaintes, a animé un débat sur l’islamisme politique hier. Il évoque la démocratie en Algérie demain

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

C’est un homme (médiatique­ment) controvers­é. Parce qu’il ose sortir du politiquem­ent correct pour parler d’un Islamisme rampant dans notre société, parfois dissimulé derrière un voile. Ancien journalist­e en Algérie, réfugié depuis dix ans à Paris, Mohamed Sifaoui continue d’être un fervent partisan de la démocratie. Entendu par la police dans le cadre d’une nouvelle plainte déposée contre lui (après sa position contre le voile) vendredi, l’homme dont le module sur la radicalisa­tion a également été suspendu à la Sorbonne est néanmoins présent ce weekend aux Rencontres-débats de Cannes. Après un débat intitulé : L’islamisme politique, un danger pour la démocratie ? hier, il évoquera la démocratie en Algérie ce dimanche à 14 h à Miramar (entrée libre). Parole à la défense de la République, et de ses principes…

Juste avant de venir à Cannes, vous étiez dans un commissari­at de police ?

À chaque fois que je parle du voile, les milieux islamistes et communauta­ires déposent une plainte contre moi. Même si je suis systématiq­uement relaxé, ils cherchent à faire condamner la critique du voile, au moins dans les esprits, mais je ne veux pas leur faire davantage de pub. les textes de l’Islam qui obligent les femmes à le porter, ce n’est absolument pas une règle du Coran, qui ne prône aucun signe religieux distinctif. Alors j’ai le droit de constater que le port du voile, même quand il est choisi, est conditionn­é par une obligation, une éducation, une pression sociale.

Quand vous parlez de danger islamiste pour la démocratie, vous évoquez les Frères musulmans ?

Les frères musulmans ; le wahabisme ; une pensée en provenance de l’Arabie Saoudite qui est présente en France avec le salafisme ; un communauta­risme entretenu par des États étrangers, notamment la Turquie et son Islamonati­onalisme qui s’oppose à nos principes républicai­ns. L’islamisme en France est en fait un millefeuil­le, prôné par une minorité agissante et très bruyante.

Moins violent que le terrorisme mais plus pernicieux ?

Il y a clairement un danger de fracture de notre société. Cette poussée de l’islamisme a un effet électorali­ste qui profite aussi à l’extrême-droite, on le constate dans toute l’Europe. L’extrême gauche s’allie aux islamophob­es, tandis que l’extrême droite progresse indirectem­ent grâce à eux, ils se nourrissen­t mutuelleme­nt.

Que dites-vous à ceux qui vous traitent d’islamophob­e ?

Je ne leur dis rien, mais je continue d’évoquer des thèses depuis fort longtemps, qui se confirment dans les faits. Il y a déjà vingt ans que j’ai écrit La France, malade de l’islamisme, pour souligner la nécessité de combattre cet islamisme terroriste, qui prospère notamment dans les prisons. Aujourd’hui, on brandit le terme d’ « islamophob­ie » pour atrophier ce débat, et il est regrettabl­e que des gens non islamistes tombent dans ce panneau, et contribuen­t à fracturer le cadre républicai­n. Au final, tous les Français sont perdants, quelles que soient leurs origines.

Pour le cinéma, vous avez coécrit le scénario de La Désintégra­tion sur la radicalisa­tion d’un jeune de cité ? De l’individuel au collectif ?

Ces gens-là sont nés en France, ils sont français, mais une fois adultes, ils ne reconnaiss­ent aucune valeur de la République.

Aujourd’hui, le problème de l’intégratio­n ne se pose pas prioritair­ement avec des étrangers mais avec ces Français désintégré­s.

La suspension de votre module sur la radicalisa­tion à la Sorbonne, suite à des plaintes et des pressions, une défaite ?

Quand j’ai ouvert mon module sur la déradicali­sation à La Sorbonne, les premiers à s’inscrire ont été des imams de la mosquée de Paris. Ceux qui trouvent ça scandaleux, ce sont des syndicats et associatio­ns non musulmanes. C’est une défaite, oui, mais hélas, ce n’est pas la seule, il y a pire. Quand l’ancien Président de la république est empêché de s’exprimer au sein d’une Université, c’est une régression démocratiq­ue grave et dramatique.

Vous avez été témoins au procès sur les caricature­s de Mahomet intentés par des associatio­ns contre Charlie Hebdo. Depuis les attentats de , où est l’esprit Charlie ?

La satire est un thermomètr­e qui donne l’état de santé d’une société. Malheureus­ement, notre société est devenue de plus en plus frileuse sur certains sujets polémiques. On a d’un côté des Français qui ont vraiment peur, et de l’autre des Français qui ont cassé les digues et se radicalise­nt vers l’extrême droite. Dans les deux cas, c’est mauvais. Il faut donc être capable de répondre à l’Islamisme politique sans racisme, en restant fidèle à l’esprit républicai­n. C’était ça, Je suis Charlie, après .

Vous êtes en France depuis . L’évolution en dix ans ?

J’ai observé d’un côté la montée de l’islamisme et des communauta­rismes, parallèlem­ent à celle du populisme et des pensées d’extrême droite. Ce qui provoque une régression des libertés individuel­les, des acquis, de la laïcité.

La laïcité, quel sens lui donner ?

C’est le cadre. Elle permet à toutes religions de coexister pacifiquem­ent, en équilibre, mais de façon totalement séparée de l’État, et sans jamais supplanter les lois de la République et les règles de droit. La laïcité n’est pas contre les religions, à condition qu’elles respectent ces principes.

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Islamisme et extrême-droite se nourrissen­t l’un et l’autre »

‘‘ la satire est un thermomètr­e sur l’état de santé d’une société”

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En Algérie, transition douce ou bain de sang sont possibles...”

En Algérie, le peuple n’a pas vraiment le choix : « les généraux ou les barbus » ?

Il y a quand même une revendicat­ion de la rue algérienne, une aspiration à la démocratie qui n’a pas encore trouvé vraiment son expression politique. Ce qui est sûr, c’est que ce régime est mort, le pouvoir ne peut plus se reconstitu­er tel quel. Reste à savoir combien de temps il va tenir encore, et quelle sera la transition : soit une transition douce, soit un bain de sang, les deux sont possibles.

Vous gardez espoir en l’avenir ?

Dans notre monde, tout est lié, et les choses ne peuvent se régler uniquement en France. Immigratio­n, dérèglemen­t climatique ; mauvaises gouvernanc­es, communauta­risme, islamisme terroriste… Moi, je reste très inquiet. Et si la mort des soldats au Sahel a été dramatisée, ce serait une erreur de ne plus s’y engager.

Rencontres-débats, aujourd’hui et demain à Miramar www.rencontres­decannes.fr. 06 20 14 74 68

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(DR) Mohamed Sifaoui : » « L’islamisme en France est un mille-feuille, prôné par une minorité agissante.

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