« Fais d’abord examiner ta propre mort cérébrale »
Le président turc Erdogan s’en est violemment pris à Macron en reprenant la formule que le chef de l’Etat avait lancée à propos de l’Otan. L’Elysée parle de véritable « insulte »
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a jugé, hier, son homologue français Emmanuel Macron en « état de mort cérébrale », amplifiant la crise entre ces deux pays clé de l’Otan à quelques jours d’un sommet de l’Alliance.
Reprenant les déclarations du président français qui avait jugé l’Otan en état de « mort cérébrale » et avait appelé à revoir la stratégie de l’Alliance, le chef de l’Etat turc a répliqué avec véhémence en reprenant ces termes à son encontre.
« Ces déclarations ne siéent qu’à ceux dans ton genre qui sont en état de mort cérébrale », a-t-il lancé dans un discours à Istanbul. « Fais d’abord examiner ta propre mort cérébrale », a-t-il martelé. Une attaque d’une rare violence qui a fait réagir le député LR azuréen Eric Ciotti, apportant son entier soutien au Président Macron : « Ces propos sont indignes d’un dirigeant de la vingtième puissance mondiale qui s’enfonce un peu plus chaque jour dans une dérive autoritaire inquiétante. [...] De telles attaques ne peuvent rester sans réponse, il en va de l’honneur de la France. Je demande au Président Macron de rappeler immédiatement l’ambassadeur de France à Ankara et apporte mon soutien au chef de l’Etat français dans cette crise diplomatique. » Et l’élu de réclamer sa mise au ban définitive de l’Union européenne : « Je demande également la clôture définitive du processus de préadhésion de la Turquie à l’Union européenne. Au-delà de nos différences géographiques et culturelles, s’en prendre à un Etat membre et à son chef de l’Etat ferme de façon irrémédiable la porte à un partenariat quelconque .»
Ambassadeur turc à nouveau convoqué
Du côté de la diplomatie, Paris a aussitôt riposté en convoquant l’ambassadeur de Turquie au ministère des Affaires étrangères. « Soyons clairs, ce n’est pas une déclaration, ce sont des insultes », a réagi la présidence française au sujet de ce qu’elle a qualifié de « dernier excès » en date d’Erdogan.
Le même ambassadeur, Ismail Hakki Musa, avait déjà été convoqué au Quaid’Orsay le 10 octobre, au lendemain du lancement de l’offensive turque contre la milice kurde des YPG dans le nord de la Syrie. Emmanuel Macron, parmi les plus critiques, avait déploré, jeudi, que la Turquie ait mis ses alliés « devant le fait accompli » et réclamé une réflexion sur le rôle et la stratégie de l’Alliance qu’il entend mettre sur la table au sommet de mardi et mercredi. La Turquie est exaspérée de son côté par le soutien de la France aux Forces démocratiques syriennes (FDS) et par ricochet à une de ses principales composantes, la milice kurde des YPG, qu’Ankara considère comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), son ennemi juré.
« Depuis que Emmanuel Macron a reçu les FDS, la dégradation est très sensible », constate Didier Billion, expert sur la Turquie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris. Le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a accusé, jeudi, Emmanuel Macron de « parrainer le terrorisme ». En novembre, la Turquie s’était aussi emportée après des propos français sur son « jeu politique » supposé dans l’enquête sur l’assassinat du Saoudien Jamal Kashoggi à Istanbul.
En janvier 2018, Emmanuel Macron avait jeté un froid en déclarant devant son homologue turc en visite à l’Elysée que la situation des droits de l’Homme en Turquie excluait « toute avancée » dans les négociations d’adhésion à l’UE.
Rabibochage en vue ?
« Vont-ils se rabibocher ou continuer ? Il est trop tôt pour le dire », considère Didier Billion. La réponse pourrait tomber dès la semaine prochaine à Londres où les deux dirigeants se retrouveront pour parler de la Syrie, en marge du sommet de l’Otan, avec la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre Boris Johnson.
Selon le chercheur de l’Iris, le président turc adore rebondir sur « ce type de situations conflictuelles » qui lui permettent de jouer la carte de l’unité nationale en surfant sur la fibre nationaliste turque.
Il est aussi servi par le franc-parler du président français, qui ne se fait pas que des amis en bousculant ses interlocuteurs là où il estime qu’il y a urgence.