« Il aurait fallu faire des efforts dans l’ancien système aussi »
L’économiste Philippe Crevel dirige le Cercle de l’épargne. Cheminots, enseignants, professions libérales... Il décrypte les annonces du Premier ministre pour distinguer gagnants et perdants
L’économiste Philippe Crevel dirige le Cercle de l’épargne. Un think tank dédié à la fois à l’épargne, à la retraite et à la prévoyance. Il décrypte les annonces d’Edouard Philippe.
À première vue, peut-on parler de gagnants et de perdants en fonction des générations touchées ?
Le Premier ministre a décidé de reporter la date d’application de sa réforme à la génération . Mais on n’est pas forcément gagnant parce qu’on n’est pas concerné par la réforme, et pas forcément perdant si on est concerné !
La question n’est pas là.
Que vous inspire la suppression différée des régimes spéciaux ?
Sur les régimes spéciaux, il a été plus elliptique pour dire qui serait concerné ou non. Il s’est contenté de dire que cela prendrait beaucoup de temps... On peut imaginer que ce serait assez lointain, que ce serait une « clause du grandpère » qu’il n’a pas voulu citer. Après, il a bien distingué les régimes spéciaux de la fonction publique. Par ses différentes propositions, il a essayé d’éviter une cristallisation des oppositions.
Mais les cheminots ont-ils de quoi se sentir plutôt lésés ou satisfaits ?
Je pense qu’il y a, en sousmain, des négociations pour fixer le cas échéant un cadre pour les régimes spéciaux. Didier Aubert (CFDT) a dit :
« Si on nous accorde la clause du grand-père, on sort du conflit à la SNCF ». Elle est là, la porte de sortie ! Sur la SNCF – et cela pose le problème de la RATP aussi –, le Parlement a adopté l’an dernier un texte prévoyant que les salariés embauchés avant le er janvier restaient dans l’ancien statut. Comment voulezvous leur dire aujourd’hui :
« Cela concernait tout sauf la retraite » ? Pour un cheminot, le tout, c’est précisément la retraite !
Avec des carrières revalorisées et le niveau des pensions sanctuarisé, les enseignants peuvent-ils récupérer d’un côté ce qu’ils perdraient de l’autre ?
Oui, bien sûr. Les syndicats d’enseignants trouvent les propositions trop floues. Mais on voit qu’ils sont entrés dans une négociation sur les primes et le traitement. Pour le moment, ils restent hostiles, car ils veulent des garanties sur le plan de revalorisation de la fonction publique.
Les professions libérales qui sauvent leurs réserves ont marqué un point ?
Pour le moment, ils conservent leur structure. En revanche, il n’y a pas eu de concession particulière vis-àvis des professions libérales, peu évoquées. Les représentants étaient d’ailleurs courroucés de ce silence qui, à leurs yeux, est un mépris ! Mais pour le gouvernement, l’incendie concerne d’abord les transports et la fonction publique, pas les avocats ou les professions médicales...
La CFDT fait de l’âge pivot à ans un casus belli. Est-ce réellement justifié ?
On est sur une bataille de mots, de postures. Les Français sont ultra sensibles à la question de l’âge du départ à la retraite. La CFDT a besoin de montrer à ses adhérents qu’elle n’est pas un syndicat « jaune ». C’est un symbole. Mais j’attire toujours l’attention sur une chose : dans le cadre de l’Agirc-Arrco, les syndicats ont accepté un régime par points... avec un âge pivot qui se situe à ans. Ils ont fait la moitié du chemin ! Et autour de nous, la plupart des pays sont entre et ans. À ans, on resterait dans la moyenne basse, avec la durée de retraite la plus longue de l’OCDE.
Quelles concessions peuton retenir parmi les annonces d’Edouard Philippe ?
Il y a eu deux ouvertures sur la reconnaissance des carrières longues et de la pénibilité. Des ouvertures à destination de la CFDT. Il a également ouvert la voie à une amélioration pour les familles nombreuses, avec des points supplémentaires qui pourraient être accordés pour chaque enfant.
La pension minimale de euros est un autre geste notable ?
Sur ce point, il ne fait que répéter ce qui était dans le rapport Delevoye : un engagement à maintenir la pension égale à % du Smic.
Cela favoriserait évidemment ceux qui ont de petites pensions, ou qui ont connu une carrière avec du temps partiel, de l’intérim ou des CDD.
Le régime français des retraites peut-il sortir gagnant de ces annonces, si cela permettait d’assurer sa pérennité ?
L’objectif d’un régime par points, c’est la simplicité du pilotage pour les pouvoirs publics. Et l’équité. Le Premier ministre a réaffirmé l’objectif fixé par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle de : que tout le monde soit traité de la même façon, selon des critères objectifs qui permettent de garder des spécificités. D’autres pays l’ont fait autour de nous : l’Allemagne, l’Italie, la Suède...
On ne peut donc pas dire que certaines générations seraient sacrifiées et d’autres, préservées ?
Non, non. C’est un mode de calcul, qui dépend de votre situation professionnelle. A mes yeux, ce débat est assez surréaliste ! On a un problème de financement, d’équilibre. Aujourd’hui il y a millions de retraités, et il y en aura millions d’ici . La question est : comment assure-t-on à tout un chacun des revenus ? Changer les règles de calcul ne change pas la situation comme par magie. Si on était resté dans l’ancien système, il aurait fallu faire des efforts aussi.
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Sur l’âge pivot, on est dans une bataille de mots ”