Séisme allemand
Ce n’est pas une crise politique qui secoue l’Allemagne depuis bientôt une semaine mais bel et bien un séisme dont les répliques risquent fort d’être durables et dangereuses. Qui aurait pu imaginer que des chrétiens-démocrates, membres de la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel, concluent un jour une alliance électorale avec une extrême-droite en plein essor, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), une formation aux relents néonazis, devenue depuis les élections législatives de septembre le troisième parti du Bundestag à Berlin ? L’impossible s’est donc produit en Thuringe, le février, pour éliminer de la présidence de ce land de l’ex-Allemagne de l’Est le sortant, un représentant de la gauche radicale ayant fait pourtant sa mue, démocrate apprécié des investisseurs et des industriels. Mais rôde encore sur ces terres le fantôme du communisme. Une coalition improbable, faite de la CDU, des Libéraux du FDP et des extrémistes de l’AfD, s’est ainsi formée pour empêcher le sortant d’être reconduit et élire à sa place un représentant du FDP. Une alliance impensable il y a peu encore, formellement interdite en outre par la direction de CDU. Surtout, la fin d’un tabou. Ce coup de tonnerre est d’autant plus violent qu’il ne s’agit en rien d’une manoeuvre de pure circonstance sans risque d’aller plus loin. Il s’avère que l’opération était préparée et qu’elle confirme les déchirures au sein du parti d’Angela Merkel. L’aile droite de la CDU, en effet, n’entend pas s’en tenir à la ligne arrêtée en décembre à Hamburg dans un congrès qui vit alors Annegret Kramp-Karrenbauer (’’AKK’’) succéder à Angela Merkel et apparaître comme la future chancelière après les élections de l’automne . Une succession préparée que l’épisode thuringeois fait voler en éclats. Surprise par ce mauvais coup, AKK a réagi aussitôt, réclamé de nouvelles élections, s’est déplacée à Erfurt, la capitale de la Thuringe, pour y convaincre les deux tiers des élus régionaux CDU de se prononcer pour un nouveau scrutin. Vains efforts. Dont elle a tiré une conclusion radicale, sans doute pour souligner la gravité des faits et provoquer un choc dans l’opinion allemande : hier matin, elle démissionnait de la présidence de la CDU et annonçait qu’elle renonçait à succéder à Angela Merkel. Ce tremblement de terre est le révélateur de profondes fractures au sein de ce grand parti de gouvernement qu’est la CDU. Elles laissent présager, ici ou là, de nouvelles alliances avec l’AfD. Un tournant dont nul ne peut dire où il peut conduire une Allemagne dont la santé politique devient on ne peut plus préoccupante, gagnée à son tour par une menace qui se répand par ailleurs dans tous les pays de l’Union européenne.