Verrouiller les pulsions
Ce souvenir m’a toujours poursuivi. Tout jeune journaliste, j’avais « couvert » un procès pour viol. J’en étais ressorti avec un profond sentiment de malaise. Et sans certitude. Incapable de savoir qui était coupable de quoi : le prévenu, un dénommé « Bibi », d’une agression immonde ; ou son accusatrice, d’une machination sordide. Ce jour-là, j’avais plaint ceux qui avaient la charge écrasante de faire passer la justice, à tâtons, dans une pénombre oppressante. L’affaire Balotelli vient remuer le couteau dans la plaie. Saura-t-on jamais si l’ancien footballeur niçois a abusé d’une adolescente naïve, ou s’il a enduré une tentative d’extorsion ? Dans tous les cas, le mal est fait. Le déballage en place publique, à l’aune de cette sacro-sainte fumée qui n’arrive jamais sans feu, installe d’ores et déjà Balotelli en première ligne sur le bûcher des infâmes. Ma femme verrait là une indécente réaction machiste : à ce stade pourtant, je ne peux m’empêcher d’imaginer sa rage s’il n’a pas commis l’irréparable. Souhaitons donc que la vérité trouve rapidement sa lanterne. Dans un monde idéal, on pourrait aussi espérer que la justice précède le lynchage médiatique. Mais ne rêvons plus. A voir la façon éhontée dont les micros sont tendus avec gourmandise à l’obscène Piotr Pavlenski, il va falloir s’habituer aux remugles d’égout à flux ininterrompu. Dans ce maelstrom nauséabond, une lueur cependant : la manière dont Roxana Maracineanu s’est révélée.
A la faveur des affres de l’univers du patinage, la ministre des Sports, jusque-là plutôt falote, a pris le taureau par les cornes. Dans un style sobre, qui tranche avec les effets de manche de Marlène Schiappa, elle s’emploie à poser des garde-fous, un « cordon sanitaire » comme elle dit, pour préserver le milieu sportif des dérapages sexuels. Ça ne fera pas tout, mais voilà déjà un bon début.
Car évidemment, avant d’éventuels règlements de comptes, ce sont bien les monstruosités commises sur des femmes (ou des hommes) qu’il faut à tout prix éradiquer.
La parole s’est libérée, c’était une étape indispensable. Il importe à présent d’inhiber les violeurs, par tous les moyens et autant que faire se peut, dans ce registre si aigu de l’intime, le plus complexe qui soit à cadenasser.