Nice-Matin (Cannes)

Verrouille­r les pulsions

- de THIERRY PRUDHON Reporter edito@nicematin.fr « La ministre des Sports, jusque-là plutôt falote, a pris le taureau par les cornes. »

Ce souvenir m’a toujours poursuivi. Tout jeune journalist­e, j’avais « couvert » un procès pour viol. J’en étais ressorti avec un profond sentiment de malaise. Et sans certitude. Incapable de savoir qui était coupable de quoi : le prévenu, un dénommé « Bibi », d’une agression immonde ; ou son accusatric­e, d’une machinatio­n sordide. Ce jour-là, j’avais plaint ceux qui avaient la charge écrasante de faire passer la justice, à tâtons, dans une pénombre oppressant­e. L’affaire Balotelli vient remuer le couteau dans la plaie. Saura-t-on jamais si l’ancien footballeu­r niçois a abusé d’une adolescent­e naïve, ou s’il a enduré une tentative d’extorsion ? Dans tous les cas, le mal est fait. Le déballage en place publique, à l’aune de cette sacro-sainte fumée qui n’arrive jamais sans feu, installe d’ores et déjà Balotelli en première ligne sur le bûcher des infâmes. Ma femme verrait là une indécente réaction machiste : à ce stade pourtant, je ne peux m’empêcher d’imaginer sa rage s’il n’a pas commis l’irréparabl­e. Souhaitons donc que la vérité trouve rapidement sa lanterne. Dans un monde idéal, on pourrait aussi espérer que la justice précède le lynchage médiatique. Mais ne rêvons plus. A voir la façon éhontée dont les micros sont tendus avec gourmandis­e à l’obscène Piotr Pavlenski, il va falloir s’habituer aux remugles d’égout à flux ininterrom­pu. Dans ce maelstrom nauséabond, une lueur cependant : la manière dont Roxana Maracinean­u s’est révélée.

A la faveur des affres de l’univers du patinage, la ministre des Sports, jusque-là plutôt falote, a pris le taureau par les cornes. Dans un style sobre, qui tranche avec les effets de manche de Marlène Schiappa, elle s’emploie à poser des garde-fous, un « cordon sanitaire » comme elle dit, pour préserver le milieu sportif des dérapages sexuels. Ça ne fera pas tout, mais voilà déjà un bon début.

Car évidemment, avant d’éventuels règlements de comptes, ce sont bien les monstruosi­tés commises sur des femmes (ou des hommes) qu’il faut à tout prix éradiquer.

La parole s’est libérée, c’était une étape indispensa­ble. Il importe à présent d’inhiber les violeurs, par tous les moyens et autant que faire se peut, dans ce registre si aigu de l’intime, le plus complexe qui soit à cadenasser.

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