« On doit montrer que les risques ne sont pas supérieurs aux bénéfices »
« Ce qui a été montré sur un échantillon d’une vingtaine de personnes est indiscutable, en termes de réduction de la charge virale. Je ne trouve pas pour autant raisonnable de traiter des personnes sans attendre le résultat des études conduites et notamment celle menée par l’INSERM auprès de 3 000 personnes dont 800 en France (1). »
Pierre Dellamonica, professeur émérite d’infectiologie de l’UCA (Université Côte d’Azur) n’approuve pas la décision de l’équipe de l’IHU Méditerranée Infection du professeur Didier Raoult de proposer au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic, un traitement associant hydroxychloroquine et Azithromycine. Et il explique pourquoi il est important d’attendre les résultats d’une étude plus large. « Lorsqu’une maladie tue 70 à 80 % des personnes touchées, on n’a pas besoin de gros effectifs pour évaluer l’efficacité d’un médicament. Dans le cas du Covid19, c’est différent : une majorité de patients sont asymptomatiques ou ont très peu de signes cliniques. Pour évaluer la réelle efficacité d’un traitement, il faut qu’on puisse le tester sur des milliers de patients, sachant par ailleurs que l’efficacité peut varier selon le stade de la maladie. L’essai européen tient compte de ces différents paramètres.. » Outre le fait que « le traitement n’est pas anodin », il rappelle ensuite que les études préliminaires réalisées par le Pr Raoult ne fournissent pas d’informations sur l’amélioration des symptômes. « Elles montrent une diminution de la charge virale, qui pourrait permettre de réduire les symptômes et le temps de la contagiosité. Mais on n’a aucune donnée qui permette de corréler la charge virale à la gravité de la maladie. Or c’est cela le principal objectif : diminuer la mortalité associée au Covid-19. »
Pas de faux espoirs
Si des milliers (millions) de Français, fébriles, testés positifs pour le Covid-19, devaient rapidement être traités – ce qui est déjà le cas depuis hier à Marseille –, les effets secondaires ne feraient-ils pas plus de victimes que la maladie ellemême dont il faut une fois encore rappeler qu’elle est bénigne dans la grande majorité des cas ? C’est la question que pose le Pr Pierre Dellamonica. « Je préférerais que l’on se base sur des études réalisées en bonne et due forme, et des recommandations précises. L’urgence n’autorise pas à faire n’importe quoi, en s’abstenant de toute rigueur scientifique. » Et le spécialiste de faire référence à une période pas si lointaine pendant laquelle l’urgence de soigner a fait beaucoup de « victimes ». «Au début du Sida, lorsque la maladie était mortelle, on donnait sans cesse de faux espoirs avec des molécules miraculeuses, et puis on faisait marche arrière… Ces annonces sans preuves ont fait d’énormes dégâts. Et la médecine s’est réellement discréditée. »
Et il conclut : « Même en temps de guerre, on doit pouvoir montrer que les risques ne sont pas supérieurs aux bénéfices. J’invite les médecins à inclure au plus vite le plus de patients possible dans l’essai clinique européen. Sachant que Covid-19 évolue sur une période courte, nous aurons rapidement cette réponse. » (1) Un essai clinique européen destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19 a démarré. Coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium Reacting, cet essai inclura au moins 800 patients français atteints de formes sévères du Covid-19.