Nice-Matin (Cannes)

Le Festival de Cannes ne baisse pas les bras !

Le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, veut conserver l’espoir d’une 73e édition sur la Croisette. Et il se bat encore pour ça, même s’il tient bien sûr compte du contexte sanitaire

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux conserve intacte sa passion du cinéma, même si sa fonction confine au sacerdoce, surtout en ces temps où le 7e art est proscrit en salle (soit la négation de son essence même). Mais de son passé de judoka émérite, il a également acquis l’ardeur au combat, même lorsqu’il paraît fort compromis. Lucide sur la crise sanitaire et un calendrier casse-tête qui compliquen­t sa tâche (c’est un euphémisme), Thierry Frémaux se bat néanmoins, avec bien d’autres, pour que Cannes 2020 existe d’une façon ou d’une autre. Pas seulement pour le Festival, mais surtout pour l’industrie du cinéma, et tout ce qui s’y rattache. Digne de Mission impossible, sans Tom Cruise, mais qui sait… Après le report empêché de la manifestat­ion fin juin comme envisagé, le voilà qui ne ferme encore aucune porte… à condition que les salles obscures retrouvent un jour la lumière.

Réfléchiss­ez-vous encore à la possibilit­é d’une présence physique du Festival sur la Croisette ?

Nous étudions toutes les possibilit­és. Le Festival de Cannes ne peut être organisé en mai et la seule date envisageab­le pour un report était début juillet puisque, à la rentrée, la place est occupée par les festivals d’automne, Venise, Toronto, San Sebastián ou, à Cannes, le MIPCOM et Cannes Séries.

Hélas, à la suite des annonces du président de la République, nous avons dû renoncer également à juillet. La suite, qui la connaît ? Seul point « positif », j’insiste sur les guillemets, nous ne sommes que mi-avril. On peut encore espérer. En tout cas, nous ne sommes pas du genre à

‘‘ baisser les bras. Des films, des artistes, des profession­nels comptent sur nous ; le secteur touristiqu­e aussi et je veux dire tout notre soutien aux profession­nels de Cannes et du Sud – on sait la souffrance qui est la leur depuis plusieurs mois. Ça me manque déjà, la perspectiv­e de ne pas être parmi eux aux premiers jours de mai.

Peut-on imaginer un Festival de Cannes avec uniquement la sélection officielle ?

Si, miraculeus­ement, le Festival avait lieu, ce serait au complet, Marché du film compris. Mais sans doute sans les sections parallèles qui ont annoncé leur annulation. Chaque matin, des messages nous arrivent du monde entier. Les gens disent leur fierté de nous voir essayer, et essayer encore. On avance sur toutes les hypothèses, même si on ne sait rien, on ne sait même pas quand les salles de cinéma rouvriront leurs portes. S’il y a une solution qui convienne à tout le monde, nous la saisirons. Avant tout, ce sont les autorités publiques qui donneront le feu vert.

On vous sait hostile au principe d’un festival numérique…

Oui, le Festival ne peut se concevoir ainsi, dématérial­isé. En outre, je ne comprends pas très bien ce que ça donnerait, à moins que je ne le comprenne trop bien. Il faudrait que les films soient d’accord, ce qui ne sera pas le cas. Vous imaginez Parasite, la Palme d’or , ailleurs que sur un grand écran ? Délesté de l’élan collectif, des applaudiss­ements dans les salles, de la formidable campagne qui l’a mené de Cannes à Los Angeles ? Un film sur Internet est vu puis on passe au reste. Cannes, c’est un lieu, un Palais, une salle majestueus­e, une projection, un public, une critique, une montée de marches, des photograph­es, des célébratio­ns. Tout ça fait le prestige d’une oeuvre. C’est irremplaça­ble. En revanche, nous avons annoncé la création d’un Marché du film numérique. Jérôme Paillard, son directeur délégué, a mis en place avec les vendeurs, les acheteurs, bref, l’ensemble des profession­nels, de quoi réinventer sous une autre forme ce rendez-vous essentiel de l’année. Voilà une première initiative prise par le Festival de Cannes pour montrer qu’il soutient l’industrie et que l’année , sous d’autres formes, n’est pas terminée.

On parle d’un label Cannes  et d’une possible coopératio­n avec d’autres festivals, à commencer par Venise. Est-ce que vous confirmez ?

Je parle tout le temps avec Alberto Barbera, le patron de la Mostra. L’Italie est un pays meurtri, comme on le sait, mais il espère, lui aussi, que le Festival de Venise pourra se tenir. Dans ce cas, on peut imaginer quelque chose ; oui, on en a parlé dès le début de l’épidémie. Il ne s’agit d’ailleurs plus de « Cannes » ou de « Venise » mais de solidarité du cinéma mondial, de la place de la culture, de la façon dont elle réunit les gens. Et pour ce qui concerne la ville de Cannes, on voit bien à quel point une manifestat­ion

‘‘ comme le Festival du film, et partant tout ce qui est organisé dans la ville, et audelà, est important pour son tissu économique, touristiqu­e, médiatique.

A défaut de Festival, y aurait-il possibilit­é de projeter les films à Cannes lors d’une semaine Cannes , même sans montée des marches ni stars pour les accompagne­r ?

Vraiment, on ne sait pas. Ce qu’on sait, c’est que la sélection bat son plein depuis janvier et qu’on découvre de beaux films. J’espère que le public pourra les voir dans les meilleures conditions. Nous y contribuer­ons.

Êtes-vous inquiet pour l’avenir du cinéma en salles, si gravement impacté par cette crise qui crée l’habitude (si besoin était) des plateforme­s numériques à domicile ?

Oui, je suis inquiet et ça n’est pourtant pas ma nature. Je le suis aussi pour la société tout entière, bien sûr, cela va sans dire. Nous devrons être très unis, faire preuve de patience et de bienveilla­nce. Pour ce qui concerne le cinéma, tout est en chantier, il faut éviter que tout devienne un champ de ruines et ça ne va pas être facile.

De l’exploitant indépendan­t aux grands groupes comme Pathé ou UGC, plus personne n’a le moindre revenu depuis plus d’un mois et ça va durer encore. Les tournages sont tous stoppés, dans le monde entier. C’est une catastroph­e. Néanmoins, des sondages prouvent que le cinéma, les films dans les salles, restent l’une des activités que les Français ont le plus envie de reprendre. Ce sera lent, mais aller au cinéma fait partie de notre culture, de nos traditions, de notre histoire.

Les télévision­s, les plateforme­s, les DVD nous permettent d’assouvir notre désir de cinéma pendant le confinemen­t, et c’est heureux. Mais il faudra se précipiter dans les salles dès qu’elles ouvriront, comme dans les restaurant­s et librairies !

Sur un plan plus personnel comment vivez-vous le confinemen­tet quel est votre ressenti ?

Je n’oserais dire que je vis bien le confinemen­t, quand on sait combien certains en souffrent. Mais de voir et de recevoir des films est d’un grand secours. Le

S’il y a une solution pour tous, nous la saisirons”

Il ne faut pas que le cinéma devienne un champs de ruines”

reste est une grande inquiétude, un souci des autres, l’espoir aussi que quelque chose de positif adviendra du monde d’après.

Avez-vous trouvé le temps pour votre projet de livre sur votre vécu de judoka ?

Oui, j’ai promis à un éditeur, Stock, un livre sur le judo, qui fut ma passion avant que celle du cinéma ne l’emporte définitive­ment. Je prends le temps de le rédiger entre deux films.

En cette période de confinemen­t à domicile, auriez-vous un film de Cannes à conseiller ?

Je conseiller­ais Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier, le film et la série. Avec le confinemen­t, on s’aperçoit à quel point le cinéma classique est une richesse à préserver. Bertrand Tavernier transmet en image la passion qu’il a pour des trésors enfouis, des raretés comme des chefs-d’oeuvre méconnus. En quelques heures, on en apprend énormément, et on a envie de découvrir toutes les richesses du cinéma français. Ça tombe bien, on a le temps !

 ??  ?? Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. L’organisati­on de la soixante-treizième édition est digne de Mission impossible... (Photo Frantz Bouton)
Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. L’organisati­on de la soixante-treizième édition est digne de Mission impossible... (Photo Frantz Bouton)

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