Nice-Matin (Cannes)

Yvon Douis : ses grandes années à l’AS Monaco et en équipe de France

Légende du foot français, Yvon Douis n’a rien oublié de ses années monégasque­s

- PHILIPPE CAMPS

Yvon Douis a gagné deux championna­ts et deux Coupes, il a disputé un Mondial et deux Euros, il a joué devant des stades pleins, il a marqué des buts importants, il a été un modèle, une idole, une référence. Bien des années après, tout ça est caché au fond de sa mémoire. « J’ai tourné la page », dit celui qui a toujours abrité son palmarès et sa notoriété derrière un voile de modestie et de pudeur. Pourtant, Yvon Douis aurait dû s’appeler Yvon Doué tant il était copain avec le ballon et intime avec le talent. Ceux qui l’ont vu traverser les rencontres, parfois sur un nuage, n’ont jamais oublié ce milieu de terrain d’une élégance rare et d’une efficacité prouvée. Aujourd’hui, ce Monsieur, qui aura  ans le  mai, vit seul avec ses souvenirs dans un Ehpad de Nice. « Vous savez, dans ce genre d’endroit, il y a  % de femmes. Alors, je ne me vois pas leur raconter que j’ai joué contre Pelé...», glisse-t-il au bout du fil. On l’imagine en train de sourire. Confiné, il passe de longues journées, marche un peu, lit beaucoup. « Je suis abonné à

Nice-Matin. Je ne rate pas une page ou un papier de votre journal. Le soir, j’attends le coup de fil de mes trois enfants. J’ai une fille qui habite Sigean et deux fils, l’un à Nîmes, l’autre à Nice. Je ne pensais pas vivre un tel moment. Heureuseme­nt, pour l’instant, le Covid- a épargné mon Ehpad. Je suis là depuis que j’ai perdu mon épouse il y a trois ans. Avant, nous avions un appartemen­t à Nice-Nord. »

Ce quartier du Ray où il tenait un magasin de sport, dans les années -, avec son beau-frère, Henri Romero, un fameux joueur de rugby. Comment oublier la vitrine pleine de maillots de chez ‘’Douis-Romero’’ ? Toute une époque. Echanger avec Yvon Douis, c’est entrer dans la légende du football. « J’ai fait mon temps », soufflera-t-il avant de raccrocher. Yvon Douis a surtout fait l’histoire.

Vos débuts dans le foot ?

C’est loin... J’étais stagiaire au LOSC et internatio­nal juniors. Un jour, le proviseur de mon lycée me convoque. Il me dit : “Monsieur Douis, c’est l’heure de choisir entre le football et les études”. C’était l’année du bac.

J’ai choisi le foot. Il faut dire que j’étais souvent appelé à jouer avec l’équipe première et certains déplacemen­ts pouvaient durer jusqu’à trois jours. Aller à Nice ou à Bordeaux en train prenait du temps

dans les années cinquante...

Avec Lille, vous êtes champion de France à seulement  ans...

On avait une belle équipe. Efficace devant avec André Strappe ou Jean Vincent. Solide derrière avec un super défenseur central nommé Van der Hart. Un Hollandais que les dirigeants lillois avaient laissé échapper pour . francs. Moi je jouais  ou . À l’époque, on disait inter droit.

Pourquoi avoir quitté Lille pour Le Havre ?

Je suis Normand. En signant au Havre, je me rapprochai­s de chez moi. Mais là-bas, ça ne s’est pas passé comme j’espérais. Au bout de deux saisons, le club m’a placé sur la liste des transferts. Je suis parti à Monaco et tout le monde y a trouvé son compte.

Monaco, c’est le club de votre vie ?

C’est celui qui a marqué ma carrière. Jouer pour le club de la Principaut­é, c’était quelque chose. Je me souviens que dans mon contrat il y avait une clause qui interdisai­t aux joueurs de l’ASM d’aller au casino. J’habitais Cap d’Ail, la vie était douce. Sur le terrain, on se régalait et on avait un super coach.

Lucien Leduc...

Monsieur Leduc. J’ai adoré travailler avec lui. Il connaissai­t le football. Un homme bien et un entraîneur protecteur. Parfois, quand nous sortions dîner avec ma femme, Lucien Leduc et son épouse gardaient notre fille.

Vous aviez une belle équipe ?

Hernandez dans la cage, Casolari à droite, Thomas à gauche. Artelesa dans l’axe. Deux milieux défensifs : Biancheri et Hidalgo. Théo et moi en position plus avancée. Devant, Djibrill, Cossou, Carlier. Ce onze est gravé dans ma mémoire. On avait fait le doublé. , une année dorée. Mais ne me demandez pas le détail des matchs...

On parlait toujours de la paire Théo-Douis...

On était complément­aire. Et on avait des super joueurs autour de nous. Théo (de son vrai nom Théodore Szkudlapsk­i) était un créateur capable de trouver un coéquipier à  ou  mètres. Il avait une passe incroyable. Ensemble, on avait été champion du monde militaire en Argentine en . Sur le terrain, on prenait un plaisir fou et j’espère qu’on en donnait. C’était le voeu de Lucien Leduc. Théo, il savait tout faire.

Et vous ?

Il m’est difficile de parler de moi, de déclamer mes qualités. Ce n’est pas mon truc. Et puis, c’est le passé. Maintenant, je dois avoir les pieds carrés...

Henri Biancheri et Michel Hidalgo sont partis récemment...

Hélas. Deux excellents joueurs et des bons gars. Biancheri et Hidalgo, c’est une partie de ma vie.

Vous avez terminé votre carrière à l’AS Cannes...

Je connaissai­s le président. On avait une équipe sympa qui se défendait pas mal. C’était en D et les dirigeants avaient misé sur deux Yvon. Giner et moi.

Racontez-nous l’équipe de France...

J’ai eu la chance de vivre la

Coupe du monde  en Suède avec les Bleus. J’avais  ans. Un rêve. Devant c’était quelque chose : Vincent, Kopa, Fontaine, Piantoni, Wisnieski. Ça claquait. Derrière, on avait Jonquet, un libéro moderne qui ne balançait jamais un ballon. Il cherchait à relancer propre, juste. Kopa, c’était un dribbleur génial avec une condition physique époustoufl­ante. Et on avait deux super coachs : Albert Batteux et Jean Snella.

Vous aviez joué et marqué lors du dernier match...

La petite finale contre l’Allemagne. Inoubliabl­e victoire - avec  buts de Fontaine et un de moi.

A ce sujet, le record de buts de Just Fontaine () lors d’un Mondial tient toujours...

Et il va tenir encore longtemps. Je crois même qu’il ne sera jamais battu.

Chez les Bleus, aviez-vous croisé Robert Herbin ?

Oui, il arrivait, j’étais sur le départ. Il avait une détente phénoménal­e. Un bon joueur. Mais je ne peux pas évoquer l’homme, je ne l’ai que trop peu connu.

Quel est le joueur qui vous a impression­né ?

J’ai joué contre Pelé. Il mérite sa légende. Un soir, un joueur m’a soufflé. J’étais dans la tribune du Ray. Il s’appelait Nenad Bjekovic. L’attaquant complet par excellence. Je ne l’ai jamais oublié.

Il était le coéquipier de votre frère Jean-François au Gym...

Exact. Jeff qui avait d’ailleurs des qualités athlétique­s bien supérieure­s aux miennes.

La différence entre le foot de votre époque et celui de?

Aujourd’hui, tous les joueurs participen­t au jeu. A mon époque, l’ailier droit restait à droite et le défenseur demandait l’autorisati­on avant de monter.

Vous regardez les matchs ?

Certains. Je pourrais même aller au stade, mais je trouve les ambiances trop agressives. Les insultes, les bagarres, la violence : pour moi, ce n’est pas le foot. Le foot, c’est le jeu.

Un joueur actuel ?

Mbappé. Parce qu’il a des qualités qui n’étaient pas les miennes. Il peut faire la différence tout seul. Ce n’était pas mon cas.

Vous avez entraîné Vallauris et la réserve de l’OGC Nice. Pourquoi ne pas avoir continué et visé plus haut ?

J’aimais aider les jeunes. Les pousser vers le haut, vers l’équipe première. Mais entraîneur ? Je ne sais pas si c’était fait pour moi.

Maintenant, je dois avoir les pieds carrés...

 ??  ?? L’AS Monaco (qui signera le doublé en ).- Debout : Hernandez, Forcherio, Casolari, Biancheri, Artelesa, Hidalgo. Accroupis : Djibrill, Douis, Cossou, Théo et Carlier. Ci-contre : l’inoubliabl­e duo Théo-Douis en mai . Ci-dessous, Yvon Douis porte Just Fontaine en triomphe.
(Photos DR et afp)
L’AS Monaco (qui signera le doublé en ).- Debout : Hernandez, Forcherio, Casolari, Biancheri, Artelesa, Hidalgo. Accroupis : Djibrill, Douis, Cossou, Théo et Carlier. Ci-contre : l’inoubliabl­e duo Théo-Douis en mai . Ci-dessous, Yvon Douis porte Just Fontaine en triomphe. (Photos DR et afp)
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France