Le Pr Pradier, de la faculté de Nice : « Pour l’instant, pas d’éléments qui feraient penser à une e vague »
Le Professeur Christian Pradier enseigne la santé publique à la faculté de médecine de Nice.
Selon les données de l’ARS, le nombre de personnes hospitalisées avec le Covid n’a jamais été aussi bas depuis jours dans le Var et les A.-M. Néanmoins, avec le déconfinement, d’aucuns évoquent la possibilité d’une deuxième vague. Partagez-vous cette vision pessimiste ?
Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste. Si l’on se fonde sur ce que l’on connaît des épidémies liées à des agents infectieux, on n’a jamais vu, jusqu’à présent, d’épidémies virales avec deux vagues successives (hors saisonnalité). Habituellement, le nombre de nouveaux cas augmente, atteint un pic, avant de redescendre. C’est la courbe en cloche classique. Et c’est ce que l’on observe actuellement. Il n’y a pas, pour l’instant, d’éléments qui pourraient nous faire penser que cela se passe différemment.
Ce que l’on retient de cette crise, c’est d’abord une grande confusion dans les informations délivrées. Pourquoi un tel désordre ?
S’agissant d’un virus nouveau, il a fallu prendre rapidement des décisions dans l’incertitude et avec un degré de consensus très faible entre experts : certains disent : «Onen fait trop », quand d’autres regrettent qu’on n’en fasse pas assez. Même discordance au sujet du port du masque ou encore des traitements. Or, lorsque le consensus est aussi faible et l’incertitude élevée, on entre alors dans ce que l’on nomme en santé publique la zone de complexité, qui peut aller jusqu’au chaos. La crise du Covid est, de ce point de vue, un cas d’école.
Quelles issues possibles dans ce type de situation ?
Dans un climat d’incertitude, il est essentiel de promouvoir le partage des connaissances et des expériences entre les équipes, les régions et les pays : cela permet de voir si certains ont pu trouver et mettre en oeuvre de meilleures solutions au problème que les autres. Un exemple : l’Allemagne enregistre relativement peu de décès. Qu’ont-ils fait pour obtenir ces résultats ? Dans ces situations complexes, il est aussi important de bien comprendre ce qu’il se passe et de disposer très rapidement de données factuelles comme, dans le cas du Covid, les caractéristiques des patients hospitalisés en réanimation et/ou qui décèdent de cette infection. La capacité à mobiliser ces données est essentielle pour aider les responsables politiques, mais aussi les professionnels de santé hospitaliers et libéraux, à prendre les meilleures décisions.
C’est l’objet du bulletin épidémiologique que vous éditez depuis le mars…
Dans la situation que nous connaissons, la transmission quotidienne de données factuelles, accessibles, claires et locales, est capitale. Elle permet aux soignants d’avoir une vision objective de ce qui se passe dans leur établissement et de mieux gérer (réduire, contrer, éviter) les rumeurs ou les fausses informations.
Quelles informations faut-il justement, retenir à ce stade ?
Les données relatives au CHU de Nice montrent que % des décès ont concerné des plus de ans présentant des comorbidités. Les décès chez les personnes de moins de ans ont été exceptionnels. Avec du recul, le Covid apparaît comme une maladie sans grande gravité pour les plus jeunes mais, potentiellement, très grave pour les personnes âgées et présentant des pathologies associées. Ce sont elles qu’il faut protéger en priorité.
On a assisté à des oppositions violentes entre scientifiques autour des protocoles thérapeutiques. On pense bien sûr à l’hydroxychloroquine. Sur quoi reposent ces divisions ?
Dans une situation normale, sans tension, nos décisions thérapeutiques sont guidées par les résultats d’essais cliniques randomisés très rigoureusement menés. C’est ce qu’on appelle la médecine basée sur des preuves (« evidence based medecine »). Or, dans une situation comme celle que nous vivons, marquée par l’urgence, il peut être utile de développer des approches plus directes, comme des essais basés sur la pratique (« practice based medecine »).
Là, plutôt qu’attendre les résultats d’études plus longues à réaliser et dont les résultats risquent d’arriver trop tard, on met tout de suite l’idée en pratique et on apprend des résultats, au fur et à mesure, qu’ils soient positifs ou négatifs.