Nice-Matin (Cannes)

Pas de Festival, la Croisette sans paillette ni vedette

Sans son grand rendez-vous mondial du cinéma, en l’absence de 4 000 journalist­es accrédités et de ses 125 000 festivalie­rs, Cannes déconfinée a quasiment des allures de village hors saison

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Et pourtant, Brad Pitt et George Clooney se marrent comme des bossus à Cannes.

Mais le cliché délavé est en noir et blanc, juste apposé sur le mur d’un restaurant de la rue Félix-Faure. Et la grille du Caveau 30 reste baissée. Comme pour la plupart des établissem­ents qui ne font pas de vente à emporter, à quelques mètres à peine du Palais. Un mois de mai méconnaiss­able.

Et une Croisette sans paillette ni vedette, puisque le Festival du film l’a désertée. Marches blanches, sans tapis rouge. Pas de limousines, ni de foule agglutinée de chaque côté. Pas de photograph­es pour hurler aux stars, sous un mitraillag­e de flashs.

« Pas de Festival, faut bien le dire, ça fait chier… »

« Pas de Festival, faut bien le dire, ça fait chier, déballe sans ambages Gilles Traverso, chasseur d’images d’arrièregra­nd-père en petit-fils, qui aurait dû shooter son 44e FIF, Festival internatio­nal du film. À l’approche de mai, le dernier représenta­nt de la lignée est à l’affût des célébrités qu’il va pouvoir cibler dans son viseur.

« C’est toujours excitant, sinon autant prendre sa retraite. On a l’habitude de dire qu’il n’y a pas de Festival sans un Traverso, et là, il y a Traverso, mais pas de Festival… ». Juste quelques badauds, qui prennent tranquille­ment le temps de se « selfier » au smartphone, là où d’habitude… « Ça fait bizarre de voir le Palais et ses abords comme ça, ça paraît tout vide », constate un jeune couple, un homme et une femme en mode da ba da ba da.

« En revanche, la météo, elle, n’a pas changé. Elle est aussi incertaine, comme toujours à l’heure du Festival. » Nuages gris, quelques gouttes de pluie entre deux éclaircies. Mais pas de spotlight ni de feu d’artifice dans la nuit. Et puis le Grand auditorium des Frères Lumières, éteint à cause d’un obscur virus. En lieu et place de l’affiche d’une 73e édition dédiée au 7e art, sur le frontispic­e du « bunker » de bord de mer, la Ville a déroulé une banderole : un immense MERCI pour le personnel soignant.

Preuve que le plus urgent, n’était pas dans l’art du divertisse­ment…

« Pas tant les stars mais l’ambiance qui manque »

Un peu plus loin, le cinéma des Arcades n’affiche même plus de films sur son fronton au rideau de fer. À proximité, l’Olympia est resté figé sur les sorties de l’ère pré-Covid-19, avec des titres qui résonnent étrangemen­t aujourd’hui : Papi sitter, Radioactiv­e, L’appel de la forêt, Invisible man... Comme la projection surréalist­e du confinemen­t à domicile, de la maladie, du déconfinem­ent et des masques qui se multiplien­t sur des visages anonymes.

Où sont les stars ?

Elles ne font plus que figuration sur les abris bus de la gare routière. En posters. Sans guère de fans pour les admirer, ni même les remarquer. Mel Gibson, Mélanie Thierry, Laetitia Casta, Lambert Wilson, Benicio del Toro… Icônes fantomatiq­ues d’un Festival (provisoire­ment) conjugué au passé.

« Ce n’est pas tellement les stars qui nous manquent, encore moins le bruit, mais plutôt l’ambiance pendant le Festival, le monde, la folie douce en ville », souligne Florence résidente du Suquet.

Il faut dire que durant « la Quinzaine » (douze jours en réalité), la communauté cannoise passe de 75 000 à 200 000 âmes, dont 4 000 journalist­es accrédités. En l’absence de tous ces « festivalie­rs », les agents de propreté sont presque désoeuvrés (+60 % d’ordures ménagères en plein FIF). Mais pour une ville aussi événementi­elle, le décor, trop propret, fait tâche.

Faute de tentes et plages aux soirées privées, la promenade littorale est rendue aux skateurs, enfants à trottinett­es, et Varois en goguette « parce que d’habitude à cette période, c’est un enfer pour se garer et circuler à Cannes ».

«Bahyapas,ya pas ! On n’y peut rien... »

Un luxe, que les boutiques haut de gamme de la Croisette peinent à se payer.

« Il nous reste quand même quelques clients locaux et réguliers, ces fidèles que l’on appelle nos loyal customers, mais c’est sûr que la clientèle élitiste du Festival nous manque », confie un employé de Zegna.

Palaces fermés, Théâtre Croisette en chantier. Derrière les vitres Chaumet, Van Cleef, Dior (sans sa palme d’or) ou même Rolex, les portiers masqués trouvent le temps bien long… Smokings remisés, noeudspap’ détrônés par les cravates, alors qu’en principe le Zara Man du centre-ville en écoule plus de 400 (et 3 000 costumes). Une rue d’Antibes piétonnisé­e de 12 à 20 h pour relancer le commerce et tenter de compenser. Néanmoins, on reste encore loin de la fièvre acheteuse des festivalie­rs.

« Quinze jours à Cannes tout est possible », chante toujours en boucle Barbara Carlotti. Mais uniquement dans mes oreillette­s, et non plus comme l’hymne habituel du Festival.

« Bah y a pas, y a pas, on n’y peut rien ! Nous, ça ne nous change pas plus que ça. » Pour les boulistes des allées, Festival ou pas, aucun chômage partiel : c’est toujours l’heure de pointer.

Et ce film-là ne se finit jamais...

 ??  ?? Pas de palme d’or cette année, ni d’affiche pour le Festival du film. Sur la Croisette, l’heure n’est pas à célébrer le e art, une fois n’est pas coutume. L’urgence était ailleurs que sur grand écran. (Photos Dylan Meiffret)
Pas de palme d’or cette année, ni d’affiche pour le Festival du film. Sur la Croisette, l’heure n’est pas à célébrer le e art, une fois n’est pas coutume. L’urgence était ailleurs que sur grand écran. (Photos Dylan Meiffret)
 ??  ?? Palaces fermés sur une Croisette en liberté pour les promeneurs
Palaces fermés sur une Croisette en liberté pour les promeneurs
 ??  ?? Les stars, uniquement sur les abris bus...
Les stars, uniquement sur les abris bus...
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 ??  ?? Chut ! Calme inhabituel...
Chut ! Calme inhabituel...

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