Pas de Festival, la Croisette sans paillette ni vedette
Sans son grand rendez-vous mondial du cinéma, en l’absence de 4 000 journalistes accrédités et de ses 125 000 festivaliers, Cannes déconfinée a quasiment des allures de village hors saison
Et pourtant, Brad Pitt et George Clooney se marrent comme des bossus à Cannes.
Mais le cliché délavé est en noir et blanc, juste apposé sur le mur d’un restaurant de la rue Félix-Faure. Et la grille du Caveau 30 reste baissée. Comme pour la plupart des établissements qui ne font pas de vente à emporter, à quelques mètres à peine du Palais. Un mois de mai méconnaissable.
Et une Croisette sans paillette ni vedette, puisque le Festival du film l’a désertée. Marches blanches, sans tapis rouge. Pas de limousines, ni de foule agglutinée de chaque côté. Pas de photographes pour hurler aux stars, sous un mitraillage de flashs.
« Pas de Festival, faut bien le dire, ça fait chier… »
« Pas de Festival, faut bien le dire, ça fait chier, déballe sans ambages Gilles Traverso, chasseur d’images d’arrièregrand-père en petit-fils, qui aurait dû shooter son 44e FIF, Festival international du film. À l’approche de mai, le dernier représentant de la lignée est à l’affût des célébrités qu’il va pouvoir cibler dans son viseur.
« C’est toujours excitant, sinon autant prendre sa retraite. On a l’habitude de dire qu’il n’y a pas de Festival sans un Traverso, et là, il y a Traverso, mais pas de Festival… ». Juste quelques badauds, qui prennent tranquillement le temps de se « selfier » au smartphone, là où d’habitude… « Ça fait bizarre de voir le Palais et ses abords comme ça, ça paraît tout vide », constate un jeune couple, un homme et une femme en mode da ba da ba da.
« En revanche, la météo, elle, n’a pas changé. Elle est aussi incertaine, comme toujours à l’heure du Festival. » Nuages gris, quelques gouttes de pluie entre deux éclaircies. Mais pas de spotlight ni de feu d’artifice dans la nuit. Et puis le Grand auditorium des Frères Lumières, éteint à cause d’un obscur virus. En lieu et place de l’affiche d’une 73e édition dédiée au 7e art, sur le frontispice du « bunker » de bord de mer, la Ville a déroulé une banderole : un immense MERCI pour le personnel soignant.
Preuve que le plus urgent, n’était pas dans l’art du divertissement…
« Pas tant les stars mais l’ambiance qui manque »
Un peu plus loin, le cinéma des Arcades n’affiche même plus de films sur son fronton au rideau de fer. À proximité, l’Olympia est resté figé sur les sorties de l’ère pré-Covid-19, avec des titres qui résonnent étrangement aujourd’hui : Papi sitter, Radioactive, L’appel de la forêt, Invisible man... Comme la projection surréaliste du confinement à domicile, de la maladie, du déconfinement et des masques qui se multiplient sur des visages anonymes.
Où sont les stars ?
Elles ne font plus que figuration sur les abris bus de la gare routière. En posters. Sans guère de fans pour les admirer, ni même les remarquer. Mel Gibson, Mélanie Thierry, Laetitia Casta, Lambert Wilson, Benicio del Toro… Icônes fantomatiques d’un Festival (provisoirement) conjugué au passé.
« Ce n’est pas tellement les stars qui nous manquent, encore moins le bruit, mais plutôt l’ambiance pendant le Festival, le monde, la folie douce en ville », souligne Florence résidente du Suquet.
Il faut dire que durant « la Quinzaine » (douze jours en réalité), la communauté cannoise passe de 75 000 à 200 000 âmes, dont 4 000 journalistes accrédités. En l’absence de tous ces « festivaliers », les agents de propreté sont presque désoeuvrés (+60 % d’ordures ménagères en plein FIF). Mais pour une ville aussi événementielle, le décor, trop propret, fait tâche.
Faute de tentes et plages aux soirées privées, la promenade littorale est rendue aux skateurs, enfants à trottinettes, et Varois en goguette « parce que d’habitude à cette période, c’est un enfer pour se garer et circuler à Cannes ».
«Bahyapas,ya pas ! On n’y peut rien... »
Un luxe, que les boutiques haut de gamme de la Croisette peinent à se payer.
« Il nous reste quand même quelques clients locaux et réguliers, ces fidèles que l’on appelle nos loyal customers, mais c’est sûr que la clientèle élitiste du Festival nous manque », confie un employé de Zegna.
Palaces fermés, Théâtre Croisette en chantier. Derrière les vitres Chaumet, Van Cleef, Dior (sans sa palme d’or) ou même Rolex, les portiers masqués trouvent le temps bien long… Smokings remisés, noeudspap’ détrônés par les cravates, alors qu’en principe le Zara Man du centre-ville en écoule plus de 400 (et 3 000 costumes). Une rue d’Antibes piétonnisée de 12 à 20 h pour relancer le commerce et tenter de compenser. Néanmoins, on reste encore loin de la fièvre acheteuse des festivaliers.
« Quinze jours à Cannes tout est possible », chante toujours en boucle Barbara Carlotti. Mais uniquement dans mes oreillettes, et non plus comme l’hymne habituel du Festival.
« Bah y a pas, y a pas, on n’y peut rien ! Nous, ça ne nous change pas plus que ça. » Pour les boulistes des allées, Festival ou pas, aucun chômage partiel : c’est toujours l’heure de pointer.
Et ce film-là ne se finit jamais...