Lingettes, masques, gants : les nouveaux cauchemars
Si elle a ses vertus contre le virus, la ruée vers les lingettes désinfectantes et les masques jetables est un poison pour la nature lorsque le tout finit dans les réseaux d’eau. Exemple dans le Var
Magnifique invention que ces petites lingettes si pratiques à tirer de leur boîte ou étui pour nettoyer bébé ou désinfecter ses sols ou sanitaires. Mais voilà qu’avec la pandémie et la chasse aux « microbes », leur usage s’est généralisé. Rien de mal à cela, si ce n’est qu’une partie de ces dociles « agentes » tueuses de virus sont aussi en passe d’étouffer nos canalisations, à force d’être évacuées par chasse d’eau. Au point de non seulement boucher nos toilettes mais, pire, obstruer les réseaux et ouvrages d’assainissement et perturber le bon fonctionnement des stations d’épuration, au risque de polluer le milieu naturel. Rendez-vous à la station de Font Mourier, qui assainit les eaux usées des communes de Gassin et Cogolin, dans le Var, pour avoir un aperçu des dégâts. Cet ouvrage de 2011, siglé du géant Veolia, a beau être high-tech, il ploie de plus en plus dans sa lutte face à ces « innocentes » serviettes en fibres dont les Azuréens usent et abusent depuis le confinement, au détriment de l’eau savonneuse…
Les horreurs de la « filasse »
« En début de semaine, nous avions encore une alerte », rapporte JeanLuc Novelli. Les multiples trappes soulevées par le responsable d’équipe à travers le site donnent un aperçu du triste spectacle. À chaque étape de l’assainissement, un amas de lingettes effilochées, plus ou moins dégradées en filaments, vient s’agglutiner dans les machines et autres bacs de passage. « Ces lingettes s’ajoutent aux autres déchets mais elles ont la particularité de s’assembler, notamment avec les graisses, jusqu’à s’accrocher partout et perturber le réseau, car leurs fibres passent à travers tout le système de filtration », explique Jean-Luc Novelli à propos de ce cauchemar surnommé « filasse » qui va jusqu’à le réveiller la nuit, lui et ses techniciens…
« Ce sont les urgences… Un problème qui peut survenir n’importe quand. Cette filasse est la cause de 75 % de nos interventions de débouchage sur les stations de pompage et en usine actuellement… », poursuit-il, même si les courbes du « cerveau informatique » qui pilote
Sortie des cassettes dans la filière membranes, étape finale de traitement avant rejet des eaux traitées en rivière. Chacune des cassettes d’une tonne constitue une barrière à la filasse qui colmate les filtres et dégrade le traitement.
l’usine veillent en temps réel pour anticiper les débords.
La crainte de la banalisation
« C’est impératif car sinon tout partirait dans le milieu naturel, ce qui occasionnerait la mort des poissons dans les rivières et la fermeture de plages… Alors oui, nous évitons cela, mais cette recrudescence de filasse a un surcoût avec des opérations multipliées et bien plus longues du fait des gestes barrières instaurés depuis la pandémie. »
Sa dernière crainte, que le Covid19 ait représenté une « publicité » sans équivalent pour les lingettes. Et de fait, les fasse entrer dans les moeurs de ceux qui jusqu’à présent s’en passaient très bien. À ce titre, une visite de n’importe quelle station d’épuration de la région servira de « vaccin » contre le jet « lingettes-cuvette ». D’où l’espoir que fonde Jean-Luc Novelli dans les nouvelles générations et les classes de primaire qu’il accueille régulièrement sur le site gassinois. Un moyen de mesurer aussi à leur échelle combien avoir le bon geste compte pour préserver cette nature qu’ils aiment tant animer de leurs jeux d’enfants.
Vue d’une cassette constituée de cent plaques de filtration de , m unitaire. La filasse se met sur la cassette et entre les plaques filtres, la filtration ne se fait plus.
Dossier : LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr