Nice-Matin (Cannes)

Mais où sont donc passés les gros poissons ?

À Six-Fours, les chercheurs de l’Institut océanograp­hie Paul-Ricard ont été autorisés à plonger pour observer les premiers effets du confinemen­t sur la vie aquatique. Le constat est surprenant

- LORIS BIONDI

Des changement­s ontils pu s’opérer dans le milieu aquatique qui nous entoure ? C’est en tout cas la question que se posaient les chercheurs varois de l’Institut océanograp­hique Paul-Ricard avant de pouvoir (re)plonger dans le grand bain. Après avoir passé plus d’un mois chez eux pour rédiger des articles scientifiq­ues, traiter des données et restituer des connaissan­ces, ils ont enfin été autorisés à rejoindre la mer.

Privés du milieu aquatique depuis mi-mars, ils ont tout d’abord dû attendre un arrêté préfectora­l du 24 avril pour demander une autorisati­on. Cette dernière a ensuite été donnée par l’OFB (Office français pour la biodiversi­té). L’organisati­on est également le gestionnai­re du site Natura 2000 qui entoure l’île des Embiez, où se trouve l’institut et appelé « Lagune du Brusc ».

La conséquenc­e des activités aquatiques

Avant de plonger, Rémy Simide imaginait qu’il allait découvrir quelque chose de différent : «On se rend de plus en plus compte que, sous la mer, les activités, et même simplement le passage et la fréquentat­ion, ont des impacts majeurs sur la biodiversi­té. »

Le scientifiq­ue prend alors pour exemple le parc de Scandola, situé en Corse, qui, victime de son succès, a perdu son label de parc naturel européen à cause de la surexploit­ation causée par les activités touristiqu­es. Le bruit, facteur majeur pour les organismes aquatiques, ayant pratiqueme­nt disparu avec la quasi-inactivité humaine sur le domaine maritime, il était impatient de pouvoir faire de nouvelles observatio­ns : «On se retrouvait dans une situation assez unique de se demander : que se passe-t-il sur un site habituelle­ment très fréquenté ? Est-ce que l’on va avoir des comporteme­nts de poissons différents, peut-être moins craintifs ? Est-ce qu’on va pouvoir observer des espèces plus pélagiques ou du large qui se sont rapprochée­s ? »

Des observatio­ns en deçà des attentes

Pour optimiser leurs chances, Rémy Simide et Sylvain Couvray ont alors décidé de ne pas effectuer un comptage traditionn­el mais celui qu’ils font d’habitude pour recenser les gros poissons. « On voulait trouver des poissons assez gros comme le loup, la dorade, le mérou ou le barracuda… Tous ces genres de poissons prédateurs. » Même si les conditions météorolog­iques n’étaient pas favorables et l’eau à seulement 14 °C, la réalité fut tout autre pour les deux scientifiq­ues : « J’étais particuliè­rement déçu. On n’a quasiment vu aucun poisson prédateur. » Ont été aperçus seulement deux dorades, deux barracudas, deux mérous et un corb.

En revanche, leurs proies habituelle­s étaient bien là : « Ce qu’on a vu et que l’on voit de plus en plus chaque année, ce sont des saupes. Un poisson herbivore qui vit en bancs et qui vient se nourrir de posidonie. »

Vers un écosystème bouleversé ?

Selon le chercheur, l’augmentati­on en nombre de poissons de cette espèce pourrait provoquer «undéséquil­ibre au sein des communauté­s de poissons. Comme il y a moins de prédateurs, ils peuvent proliférer et on se retrouve dans un écosystème avec énormément de tout petits poissons et beaucoup de ces grands poissons herbivores, mais quasiment plus de prédateurs. »

Rémy Simide relativise en avouant « qu’il ne pouvait pas se retrouver dans une situation où il allait faire face à une vie de prédateurs foisonnant­e ».

Cependant, si le confinemen­t avait duré plus longtemps, le scientifiq­ue concède : « Il y a très grande résilience dans le milieu marin. À partir du moment où on lui fout la paix, ça revient assez rapidement, mais deux mois, ce n’est pas suffisant parce qu’on part de très, très loin. » Quoi qu’il en soit, le plongeur conclut en affirmant qu’il renfilera sa combinaiso­n « le plus possible ces prochains jours pour profiter des derniers moments de l’arrêt des activités ».

 ??  ?? Si seulement deux mérous (à gauche) et un corb (au centre) ont notamment été observés, les scientifiq­ues ont identifié de nombreux bancs de saupes (à droite) .Ce recensemen­t laisse penser que l’écosystème a été bouleversé et qu’il aurait fallu un temps de confinemen­t plus long pour que les poissons prédateurs reviennent.
Si seulement deux mérous (à gauche) et un corb (au centre) ont notamment été observés, les scientifiq­ues ont identifié de nombreux bancs de saupes (à droite) .Ce recensemen­t laisse penser que l’écosystème a été bouleversé et qu’il aurait fallu un temps de confinemen­t plus long pour que les poissons prédateurs reviennent.
 ??  ?? Depuis lundi, Rémy Simide aborde les fonds marins pour voir si le confinemen­t a eu un impact sur la biodiversi­té. (Photos DR)
Depuis lundi, Rémy Simide aborde les fonds marins pour voir si le confinemen­t a eu un impact sur la biodiversi­té. (Photos DR)
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