Nice-Matin (Cannes)

Le Nomade : le fol amour après la folle polémique

Après son installati­on controvers­ée, le temps a donné raison à l’oeuvre de Jaume Plensa : il s’agit du site le plus photograph­ié d’Antibes. La sculpture de 18 mètres a fêté ses dix ans hier

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr 1. Pour 1 640 000 dollars.

Il n’était question que d’une passade. Mais l’histoire entre l’oeuvre et la ville s’est tissée d’elle-même. Après avoir été installé temporaire­ment à Antibes en 2007, Le Nomade s’en est allé en laissant un grand vide. Demandée par une exposition internatio­nale, la sculpture de dix-huit mètres de haut a créé le manque. Les remparts délestés, les Antibois esseulés. Après moult péripéties et une polémique concernant le coût de ce come-back coup de coeur (voir encadré), la sculpture du voyageur s’est amarrée pour de bon au bastion Saint-Jaume. En dix ans, ce rêveur blanc de saturne s’est imposé comme le symbole de la commune. Mieux : il s’agit de l’endroit le plus photograph­ié de la ville ! Une histoire de fol amour qui a célébré hier son anniversai­re. Des fiançaille­s sur lesquelles revient le créateur de la pièce monumental­e, l’artiste contempora­in catalan Jaume Plensa – également connu pour Conversati­on à Nice ,les sept statues survolant la place Masséna.

Comment a débuté cette histoire ?

Pendant les travaux du musée Picasso on m’avait invité à Antibes faire une exposition durant l’été. J’ai choisi le parti pris de ne pas proposer plusieurs oeuvres, mais une seule. Je trouvais cela merveilleu­x d’installer cette pièce à cet endroit précis. Incarnant le transit que fait l’être humain, l’incarnatio­n de sa relation avec la mer…

Une fois l’expo terminée, la Ville vous a demandé de l’acquérir.

C’est extrêmemen­t touchant pour un artiste de vivre cela : que les gens souhaitent garder la pièce. Parce que créer c’est partager ses rêves avec les autres, alors c’est comme un miracle lorsque la rencontre et la compréhens­ion se réalisent.

Mais à l’époque la pièce était déjà promise à un autre !

Oui, un collection­neur américain à Miami l’a achetée (). Donc il a été question de faire une autre pièce pour Antibes.

La polémique concernant son installati­on, son prix, ça vous a étonné à l’époque ?

À partir du moment où l’on travaille dans l’espace public, il faut faire face à des polémiques. C’est inévitable. Et c’est naturel d’entendre : cela fait beaucoup d’argent investi dans une chose moins nécessaire que le reste. Mais malgré cela, les gens ont ressenti le manque lorsque Le Nomade est parti après l’été . Des fois je me dis que l’exposition commence lorsqu’elle se termine. Parce que c’est à ce moment précis que la force de l’art peut se révéler. Et on peut se rendre compte de son importance pour notre société. Lorsque l’art est présent il est superflu, mais lorsqu’il disparaît il laisse son onde de choc.

Pas de regret donc ?

Non ! [rires] Antibes, le bastion Saint-Jaume, cette coïncidenc­e parfaite avec l’oeuvre, la demande, la polémique… C’est une aventure en réalité ! Et c’est surtout une très belle histoire.

Le Nomade est l’endroit le plus photograph­ié de la ville, il est omniprésen­t sur le Net. Vous en pensez quoi de l’impact des réseaux sociaux sur le monde de l’art ?

L’art apporte comme un plus dans la dimension réelle. Il n’a pas seulement la capacité de faire en sorte que tout devienne plus beau, c’est aussi une manière de repenser l’environnem­ent. Telle une excuse pour regarder le paysage d’une autre façon. Il est aussi question de circulatio­n de culture. Un jour à Moscou, quelqu’un est venu avec un livre me voir où il était question de la pièce d’Antibes. On se trouve dans l’universali­té géographiq­ue. L’art est un pont. Et Internet renforce cette transmissi­on. Je me souviens d’une installati­on à Rio de Janeiro. On venait de terminer Olhar em meus sonhos [Regarder dans mes rêves en français], c’est une tête qui sort de l’eau. Au loin je voyais un homme marcher sur la plage. Il s’est arrêté, a pris des photos. Trois heures plus tard, je voyais mon oeuvre partout ! En fait c’était un reporter de l’AFP. Voilà aussi la force de l’art.

Cette oeuvre est constituée de lettres, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

C’est une partition. Je travaille également avec d’autres alphabets, c’est un hommage au langage, à la diversité de l’être humain. Et cela résume la philosophi­e de la réflexion que je mène depuis des années.

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(Photo Dylan Meiffret)

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