Nice-Matin (Cannes)

Émotion et moments de grâce à la Pitié-Salpétrièr­e

Sylvain, infirmier libéral à s’est mis au service des hôpitaux de Paris. Il décrit le quotidien de son travail en « réanimatio­n Covid », des moments difficiles aux belles rencontres

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Sa voix éraillée traduit son épuisement. Ses mains sont abîmées à force d’être lavées. Le port du masque FFP2 a marqué son visage. « Quand tu l’enlèves, tu prends une grande bouffée d’oxygène. Les conditions de travail sont très dures, on transpire beaucoup », confie Sylvain Pamies, 35 ans, depuis le logement parisien où il s’apprête à souffler après douze heures de travail intense. Au programme : lessive et repos. Infirmier libéral à Nice, il a abandonné ses remplaceme­nts pour se porter volontaire. Comme une évidence. « Il fallait que je me rende utile. En réanimatio­n, à Paris, c’était la guerre. Alors je me suis inscrit sur la plate-forme Med-Go ».

Il n’a pas fallu longtemps pour que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l’APHP) le contacte. « Le 29 avril, à 7 h 40, à l’aéroport de Nice, j’ai sauté dans l’un des rares avions qui décollent en ce moment. Je suis arrivé dans un Roissy désert ou presque puis à l’hôpital de la Pitié-Salpétrièr­e, un gros centre Covid. J’ai signé mon contrat pour un mois renouvelab­le à la direction des ressources humaines. Je me suis ensuite installé dans mon logement dans un appart-hôtel où les cinq étages sont occupés par des soignants. »

« On ne maîtrise pas tout avec ce virus »

Malgré ses sept ans d’expérience, un passé de pompier volontaire et des missions de rapatrieme­nt sanitaire un peu partout sur la planète, Sylvain se prend la vague épidémique en pleine figure. L’apprentiss­age dans l’unité Covid-19 s’est fait à marche forcée. « Il faut savoir qu’en réanimatio­n, beaucoup de patients succombent. C’est très dur émotionnel­lement. Surtout quand on se bat, qu’on va au bout de l’arsenal thérapeuti­que. C’est un vrai travail d’équipe médecin, infirmier, aide-soignant. » Premier jour, premier décès. Un patient sur le point de sortir est foudroyé par une hémorragie. « J’avais avec moi un aide-soignant de 21 ans qui s’est mis à pleurer. La difficulté avec ce virus, c’est qu’on ne maîtrise pas tout. »

Sylvain pense aussi à cette femme de 36 ans qui, le matin, échangeait avec ses enfants par Skype et qui l’après-midi a été victime d’une myocardite. « Pas sûr qu’elle passe la nuit », redoute l’infirmier. Sur les 70 morts comptabili­sés lundi dernier en France, certains sont décédés à La Pitié Salpêtrièr­e. Quand la mort est la plus forte, il faut ensuite affronter la détresse des familles. Une psychologu­e n’est jamais loin. « Chacun réagit à sa façon et c’est parfois compliqué, confie, pudique, l’infirmier. Nous, nous présentons nos condoléanc­es, nous remettons les effets personnels du défunt en expliquant aux proches qu’ils ne doivent pas y toucher pendant quatre semaines, en leur disant d’être prudents sur la route quand ils repartent encore sous le choc. »

« On est d’un peu partout en France »

Après quinze jours dantesques, le nombre d’admission en réa s’est infléchi. Sylvain commence à découvrir ceux et celles qu’il côtoie. Jusqu’ici des soignants sans visage, masqués, affairés avec lesquels il a tant de fois procédé à l’opération délicate du retourneme­nt de malades en assistance respiratoi­re : « Il faut être sept à huit pour mettre le malade sur le ventre. Une opération délicate. »

Au rush succèdent des moments de grâce : « Tu t’aperçois qu’un brancardie­r est en réalité un gars qui travaille habituelle­ment dans l’événementi­el. Sans boulot, il est venu se rendre utile. Tu retrouves une infirmière qui était dans ta classe au collège… Des chefs étoilés te livrent des repas et tu te retrouves à manger des plats exceptionn­els à la pause. Demain, une coiffeuse viendra gratuiteme­nt à l’hôtel pour nous couper les cheveux. »

Autre réconfort : le rendezvous de 20 h, dans le jardinet de la résidence. « On est d’un peu partout en France. On improvise un apéro. Les voisins applaudiss­ent. Certains accrochent des ballons en forme de coeur… »

« Il y a des besoins »

Quelques coups de fil à la famille restés à Nice (ses parents, son fils qui lui manque tant), quelques courses à la supérette, une nuit réparatric­e puis, le lendemain, de nouveau une course contre la montre, contre la mort en réa cardio-covid. « Tu passes le sas, la zone d’habillage, tu mets le masque et tu repars au front. » L’évolution récente de l’épidémie semble encouragea­nte. Il était temps. les équipes sont épuisées. Sylvain n’exclut pas de prolonger son contrat : «Enjuin,il n’est pas impossible que j’enchaîne dans un autre établissem­ent à Paris. Il y a des besoins. Des soignants vont partir en vacances. »

À la Pitié, les urgences sont de nouveau renforcées, les lits en réa ne sont pas désarmés pour autant : « Avec le déconfinem­ent, on s’attend à un nouvel afflux de cas Covid dans une dizaine de jours. Vu le comporteme­nt des gens dans la rue, c’est à redouter. »

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(DR) Sylvain Pamies, un infirmier niçois venu en renfort à Paris.
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