Nice-Matin (Cannes)

Treme, La vie après Katrina

Dans la foulée de The Wire, David Simon s’est plongé dans la Nouvelle-Orléans post ouragan Katrina pour en tirer une fable sociale et musicale

- MATHIEU FAURE

Alors que la ville n’était encore qu’une immense mare de boue dévastée par l’ouragan Katrina, les musiciens furent les premiers à retourner à La Nouvelle-Orléans. Normal, le jazz est né au coeur de « Big Easy » apportant dans son sillage les brass bands, ces orchestres de cuivres et de percussion­s. Au pays de Louis Armstrong, Terrence Blanchard et Sidney Bechet, David Simon, le créateur de The Wire ,a décidé d’installer sa série Treme. C’est ici, au coeur de la capitale de la Louisiane, que le showrunner s’est émancipé de sa précédente série face à tous ceux qui ne le croyaient pas capable d’aller sur un autre registre.

Le destin a finalement adossé à son projet sociétal et musical l’ouragan Katrina qui, en août 2005, dévaste la capitale du jazz et le sud des USA et cause près de 1 800 morts et 108 milliards de dollars de dommage.

Du coup, Simon a trouvé un axe narratif unique : raconter le retour à la vie du quartier de Treme, fief historique du jazz de La Nouvelle-Orléans. Face aux maisons détruites par la boue et confrontée à la mort et au fait d’avoir tout perdu, cette communauté musicale va devoir reconstrui­re son histoire, son identité, sa culture. Treme ne s’attarde pas sur le deuil mais sur la renaissanc­e par la musique et sur la manière dont l’ADN de la ville – le jazz – a permis de panser toutes ses plaies.

Un chef indien et son fils jazzman

Pour que la série soit la plus authentiqu­e possible, David Simon et son conseiller musical Blake Leyh ont pris le soin d’engager de vrais artistes pour entourer ses acteurs. Ainsi, Trombone Shorty, Coco Robicheaux, Elvis Costello ou encore Kermitt Ruffins donnent à la série une note locale.

Originaire de La Nouvelle-Orleans, l’acteur Wendell Pierce – déjà vu dans The Wire – a d’ailleurs appris à jouer du trombone pour son rôle. Treme dresse une mosaïque sociétale de la ville à travers ses personnage­s, un chef « indien » et son fils jazzman, une cuisinière, une avocate des causes perdues, un musicien au chômage, un policier désabusé. Un panel qui résume parfaiteme­nt « Big Easy » : la musique, la gastronomi­e cajun, la politique, la culture et l’humain. Beaucoup d’humain. Car Treme est avant tout une fresque sociologiq­ue. Oui, la série est pointue et peut perdre en route mais la force des détails avec laquelle Simon réussit à nous embarquer au coeur d’une culture si particuliè­re est unique en son genre. Mention spéciale au personnage de Clarke Peters, indien du Mardi gras dont le rituel annuel consiste à fabriquer son propre costume inspiré des tenues cérémoniel­les amérindien­nes. Albert « Big Chief » Lambreaux a tout perdu mais n’a qu’un seul but : défiler pour Mardi gras. Cette résilience traduit l’état d’esprit de Treme où la musique mais également la culture représente­nt un ciment indispensa­ble à la reconstruc­tion. Le rythme, volontaire­ment lent, est là pour insister sur la difficile reconstruc­tion. Pas de violence, pas d’histoires de gangsters ou de cliffhange­rs inattendus, juste de la résilience. A l’image d’une maison ravagée par la boue du lac Pontchartr­ain, la reconstruc­tion est lente, progressiv­e mais toujours guidée par ce prisme musical si particulie­r. Des fanfares funéraires aux musiciens de rue en passant par les répétition­s sauvages, la bandeson de la série nous transporte littéralem­ent au coeur de la Louisiane. Jamais une série sur les conséquenc­es d’une catastroph­e naturelle n’avait autant donné envie d’écouter de la musique, de danser, de manger, de profiter de la vie en quelque sorte.

La magie de Treme est double, elle couronne le talent unique de David Simon tout en lui permettant d’accomplir le deuil de The Wire. L’homme a réussi à passer à autre chose et ce n’est pas rien d’y arriver avec une telle merveille.

Nous voilà dans un autre univers, loin de Baltimore, mais toujours avec un style très particulie­r et propre, aussi, au talent de l’écrivain George Pelecanos, bras droit de David Simon qui avait déjà oeuvré sur la série événement. D’ailleurs, le showrunner ne s’en est jamais caché, The Wire a inspiré Treme. « Treme est le récit d’une urbanité réussie, où la culture – et plus exactement la musique – est la principale monnaie d’échange ». Dans cette belle aventure, c’est surtout HBO qui se lèche les babines puisqu’avec David Simon, la chaîne a tiré le gros lot.

Treme, 4 saisons, disponible sur OCS.

Un rythme

volontaire­ment lent

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France