Nice-Matin (Cannes)

Les charges s’accumulent contre la chloroquin­e

Une nouvelle étude, à très grande échelle, n’a mesuré aucun bénéfice. Pire : elle augmentera­it nettement le risque de décès

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Plus le temps passe, plus la chloroquin­e et son dérivé l’hydroxychl­oroquine semblent loin d’être le traitement miracle vanté par le professeur Didier Raoult. Les études scientifiq­ues se multiplien­t, venues des États-Unis (nos éditions du 9 mai) ,de France et de Chine (nos éditions du 16 mai) qui, sans pour autant trancher définitive­ment, concluent à son inefficaci­té, voire sa nocivité dans certains cas. Et la dernière en date ne va pas changer la tendance, au contraire.

● A proscrire hors essais cliniques

Publiée vendredi dans la revue médicale britanniqu­e The Lancet – l’une des plus prestigieu­ses revues scientifiq­ues au monde –, il s’agit de la « première étude à large échelle » à montrer une « preuve statistiqu­e robuste » que ces deux traitement­s qui font couler tant d’encre « ne bénéficien­t pas aux patients du Covid-19 », a affirmé le docteur Mandeep Mehra, qui en est l’auteur principal. Et même que ces molécules augmentent de façon significat­ive le risque de décès et d’arythmie cardiaque. En conséquenc­e, elle recommande de ne pas les prescrire en dehors des essais cliniques.

À noter toutefois que comme les précédente­s, cette étude ne porte pas sur un usage préventif. Sur ce point, une autre est en cours concernant l’hydroxychl­oroquine. Menée sur 900 soignants, elle a été annoncée le 12 mai par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et ses résultats sont attendus dans deux mois.

● Quelque 15 000 malades comparés à 81 000 autres

La nouveauté consiste en l’ampleur de l’échantillo­n. L’étude a analysé des données d’environ 96 000 patients infectés par le virus SARS-CoV-2 admis dans 671 hôpitaux sur les six continents entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020, sortis ou décédés depuis. Environ 15 000 d’entre eux ont reçu, dans les 48 heures suivant le diagnostic, l’une des quatre combinaiso­ns suivantes : chloroquin­e seule, chloroquin­e associée à un antibiotiq­ue macrolide, hydroxychl­oroquine seule, hydroxychl­oroquine associée à ce même antibiotiq­ue. Ces quatre groupes ont ensuite été comparés aux 81 000 malades du groupe témoin n’ayant pas reçu ce traitement.

● Un risque de décès nettement plus élevé

Les résultats sont malheureus­ement édifiants : les quatre traitement­s ont tous été associés à un risque de mortalité bien plus élevé qu’au sein du groupe témoin. Cette dernière était de 9,3 %, contre 16,4 % de décès pour la chloroquin­e seule, 22,2 % quand elle était combinée à l’antibiotiq­ue, 18 % pour l’hydroxychl­oroquine seule, et 23,8 % quand elle était associée au même antibiotiq­ue.

Les auteurs estiment ainsi que le risque de mortalité est de 34 % à 45 % plus élevé chez des patients prenant ces traitement­s que chez des patients présentant des facteurs de comorbidit­é, c’est-à-dire de facteurs de risques. Ils ont aussi découvert des arythmies cardiaques graves plus fréquentes chez les patients recevant chloroquin­e ou hydroxychl­oroquine, surtout avec la combinaiso­n hydroxychl­oroquine/macrolide (8 % des malades contre 0,3 % dans le groupe témoin). Le risque d’arythmie serait au final cinq fois plus élevé avec la prise de ces deux molécules, même si le lien de cause à effet n’est pas directemen­t prouvé, expliquent les auteurs qui demandent une confirmati­on « urgente » via des essais cliniques randomisés (patients choisis par tirage au sort) avant toute conclusion.

● Vers des restrictio­ns renforcées en France ?

Si cette étude ne permet, encore une fois, pas de trancher définitive­ment (seuls des essais randomisés le permettron­t), elle produit déjà des effets. « Suite à [cette publicatio­n], j’ai saisi le Haut conseil de la santé publique pour qu’il l’analyse et me propose sous 48 h une révision des règles dérogatoir­es de prescripti­on », a annoncé hier le ministre de la Santé, Olivier Véran. En dehors des essais cliniques, la France a déjà restreint l’usage de l’hydroxychl­oroquine : elle ne peut être administré­e qu’à l’hôpital, uniquement pour les cas graves, sur décision collégiale des médecins.

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