L’humour n’est pas d’humeur
Mécontent du manque de considération pour le rire, Fabrice Laurent, directeur du festival cannois « Performance d’acteur », a signé une tribune pour réclamer davantage de soutien de l’Etat
Même en colère, et inquiet pour l’avenir, Fabrice Laurent garde le goût du bon mot. La preuve avec le titre de la tribune qu’il a signée, en tant que président de la Fédération française des Festivals d’Humour (FFH) : « De l’humour noir au rire jaune ». Plaidoyer pour un domaine, l’humour, qui représente plus de 17 000 représentations par an en France. Hors Covid-19, évidemment. Comme pour tous les divertissements culturels, ce satané virus a transformé le rire en grimace. À Cannes, comme partout, impossible de prendre longtemps le coronavirus pour un gag. Le directeur de Performance d’acteur (10 000 spectateurs l’an dernier) a dû faire une croix sur la 41e édition (du 7 au 13 avril), qui s’annonçait particulièrement prometteuse : « Début mars, nos réservations avaient atteint 20 % de progression, on était déjà au même stade de recettes que l’an dernier ».
La bonne blague ! La pandémie n’a eu cure de la comédie. Et si quatre grosses têtes d’affiche (Inès Reg, Alban Ivanov, Jarry et Bun
Hay Mean, le Chinois marrant) espèrent encore faire bidonner le Palais des Festivals en septembre et décembre, tout le reste de la programmation (une vingtaine de shows) a dû être purement annulée. « On est en discussion pour les reprogrammer en 2021, mais ça reste hypothétique, et en attendant, on a pris un sacré coup sur la tête. » Assommé, l’humour broie (vraiment) du noir. D’autant plus que le genre a toujours eu l’impression d’être considéré comme un art mineur par les hautes instances dirigeantes, alors même que les humoristes de tout acabit ont joué un premier rôle pour dérider les téléspectateurs du confinement.
Déprécier l’humour, c’est mépriser Molière
« Fédérés autour d’une discipline que l’on aurait tort de réduire à sa légèreté apparente… nous affirmons que le qualificatif « populaire » n’est pas un gros mot, ni forcément synonyme d’indolence culturelle », pointe la FFH (350 spectacles en France, 120 000 spectateurs, et 1 M€ de recettes en billetterie par saison). « Déprécier l’humour, c’est mépriser Molière, Raymond Devos, Philippe Avron, François Morel, François Rollin, Rufus, Blanche Gardin et autres artistes majeurs qui font partie de notre ADN. » Là-haut, au Ministère, on peut bien s’en gausser. Mais au nom de l’équité, et de la cohésion sociale et territoriale que les spectacles d’humour assurent en s’invitant partout sur le territoire national, la FFH réclame un véritable plan de sauvetage de l’Etat, «en prenant en compte les frais engagés au moment des annulations et les recettes perdues ». À Cannes, on parle d’un budget de 750 000 € pour Perf’d’acteur (400 000 des casinos, 70 000 de la Ville), pour une manifestation historique qui génère 20 emplois directs, et une trentaine d’indirects. « Au-delà des crédits d’impôt pour les productions de nos spectacles, on souhaite un véritable fonds d’accompagnement pour la reprise », confirme Fabrice Laurent. En espérant, malgré le contexte sanitaire et social, que nos dirigeants aient conservé leur sens de l’humour…