Décès de Marc Peillon : les musiciens sous le choc
Le contrebassiste et créateur de festivals locaux laisse le monde de la musique inconsolable
Le décès soudain du contrebassiste niçois Marc Peillon a laissé nombre de musiciens sous le choc. Ici, mais aussi à Paris, en Belgique, ou en Italie, ils sont nombreux à le pleurer et à lui rendre hommage. Directeur adjoint du conservatoire intercommunal de Beaulieu-Villefranche, professeur de basse et de contrebasse au conservatoire d’Antibes, le musicien compositeur était aussi programmateur dans certains clubs, et nombre de groupes ont pu, grâce à lui, se produire et diffuser leur musique. Il était aussi créateur de plusieurs festivals : le Saint Jazz Cap Ferrat à Saint-Jean, le Cap Jazz à Cap d’Ail et le Jazz Entrevoux qui a eu lieu pour la première fois l’an dernier, à Entrevaux. Il était aussi à l’initiative de la création de l’association Pépita musiques et cultures, pour l’organisation de concerts, spectacles et la promotion de la musique. Son décès laisse le jazz local orphelin, le monde de la musique azuréenne, et bien au-delà, sans voix.
« Locomotive de la scène niçoise »
Comme le célèbre batteur de jazz André Ceccarelli, qui ne s’en remet pas : « Je le connaissais très bien. Quelle tristesse… Je l’ai connu parce qu’il faisait partie de la jeune génération de musiciens juste après la mienne. Il était directeur artistique de festivals et j’ai toujours été le parrain de ces rendez-vous, on avait des contacts professionnels très fréquemment et on est devenu de plus en plus proches. C’était un super copain. En plus d’être quelqu’un de charmant, c’était une locomotive de la scène niçoise et des collines… Il était très entrepreneur, il n’avait pas peur de créer… L’an dernier, j’étais aussi parrain du festival qu’il a monté à Entrevaux avec une petite équipe de copains. La dernière fois que je l’ai vu, il m’avait annoncé que le Saint-Jean Cap jazz ne se ferait pas cette année, à cause du coronavirus. Mais il revenait de Toulouse avec la tête pleine de projets. Je n’ai pas les mots pour dire le bien que les musiciens pensent de lui. Il a toujours oeuvré pour la beauté de la musique… »
Eric Sempé, guitariste compositeur pour qui Marc Peillon était « comme un frère », « un ami et compagnon de route depuis toute une vie », lui rend hommage et se souvient : « Je l’ai appelé en 1986 pour qu’il rejoigne, en tant que bassiste, le groupe Synopsis qui, au départ, était un trio. Depuis, on ne s’est plus quittés. Et on a fait fonctionner ce groupe, qui existe toujours, après sept albums. Avec une nouvelle équipe car Marc et moi étions les seuls survivants du Synopsis original. Nous nous apprêtions à enregistrer le huitième opus cet été… La veille de son décès, j’étais encore en train de parler avec lui du matériel que l’on devait rassembler. On devait commencer à partir du 1er juillet. On avait plein de belles choses de prévues ensemble cet été. Des choses qu’on aurait jamais eu le temps de faire s’il n’y avait pas eu le coronavirus. Là, on avait tout juillet août ! En plus de l’album de Synopsis on voulait aussi enregistrer un album avec lui et Jean-Luc Danna. Un trio, Re Création, qui est né par hasard sur une scène il y a deux ans. Tout s’est effondré. C’était un des meilleurs contrebassistes de France, un très très bon bassiste. Un personnage incontournable musicalement, il avait une empreinte extraordinaire avec sa contrebasse, une personnalité très forte. C’était quelqu’un d’extraordinairement stable au niveau de l’humeur, énergique, enthousiaste… Je crois que jamais personne ne s’est engueulé avec lui. Il faisait redescendre tout de suite la pression, tout en disant quand même toujours ce qu’il avait à dire. C’était son côté bouddhiste. Il ne s’arrêtait jamais et c’est peut-être ce que nous, ses amis proches, on lui reproche aujourd’hui : de ne s’être jamais ménagé… »
Alban Leloup, son ami, élève, et associé dans plusieurs projets, est encore sous le choc. « J’étais un aficionado du jazz. Je connais Dédé (Ceccarelli, NDLR) depuis 30 ans. Marc a joué avec lui, à la basse, c’est comme ça que je l’ai connu. Il jouait aussi de la contrebasse, avec passion et talent. Un instrument pour lequel j’étais moimême passionné. J’avais très envie que ce soit mon prof. Un jour, je lui en ai parlé lors d’un festival. Et il m’a dit “OK je te prends”. C’était il y a 5-6 ans. En un an, j’ai avancé de 5 ans. La pédagogie, c’était un don qu’il avait. Mais le mot qui me vient immédiatement pour parler de lui, c’est “générosité”. Il ne savait pas dire non. Il avait un horizon permanent de création, n’avait pas peur, il faisait beaucoup de choses peut-être en a-t-il un peu trop fait… Il ne s’est jamais arrêté. » Alban
Leloup ressent déjà le manque. « On se téléphonait tout le temps. Il était comme un grand frère pour moi ou un petit peu comme un deuxième papa… C’était quelqu’un de très modeste. Ensemble, on a fait le festival Jazz Entrevous à Entrevaux. C’était une idée que j’avais eue parce que j’avais des contacts avec les gens du train (1) ,je voulais faire quelque chose avec un train, et ensemble on a concrétisé ça. C’était super. On devait le renouveler cette année… Malheureusement avec la période que l’on connaît nous ne pouvions pas le faire mais aujourd’hui je suis encore plus motivé pour le faire perdurer. Tout comme il faudrait que perdurent les festivals de Saint-JeanCap-Ferrat et de Cap-d’Ail, c’est le souhait de ses proches, de ses enfants Mikaël et Julia. Il avait aussi créé une association Pépita qui était importante pour lui pour la promotion de la musique. Cette association, dont je suis le président mais qui est l’oeuvre de Marc, va continuer à vivre. Avec son fils Mikaël nous allons la faire perdurer ».
« Il n’avait pas de tabou musical »
Le musicien Michel Bianco, du Corou de Berra, est lui aussi sonné : « C’était vraiment un bon gars, toujours très positif. On a joué ensemble sur plusieurs projets. Non seulement il était très ouvert mais en plus c’était un très bon musicien, très investi dans chaque projet. Il était toujours là pour encourager, il avait une vision en outre très globale de tout ce qui se faisait tant en musique trad qu’en classique ou en jazz ou même en rock. Il était bien vu de tous les côtés parce qu’il mettait toutes les musiques sur un même pied d’égalité. Il n’avait pas de tabou musical. Ce que je trouve admirable aussi c’est qu’il ne se soit pas dit “je pars à Paris” comme beaucoup font. Lui, il est resté ici. Il aimait Nice et sa région, ce qui s’y faisait musicalement, le côté transfrontalier… D’ici, il voyait pourtant toujours très loin… »
Philippe Déjardin, ancien salarié d’Harmonia Mundi, qui était devenu son complice de programmation et de festivals, notamment le Saint jazz club, version hiver qu’il a créée avec Marc Peillon, exprime à son ami disparu une reconnaissance sans limite : « Quand je me suis retrouvé sans travail, à près de 60 ans, lui m’a fait renaître, professionnellement et psychologiquement. Il m’a redonné confiance. Il était mon mentor, en termes d’organisation de festivals et il est devenu mon ami ». Et d’écrire, sur sa page Facebook : « Le monde de la musique et du jazz a perdu un de ses meilleurs défenseurs dans la région, les musiciens locaux leur plus ardent défenseur, meilleur partenaire, leur complice. Beaucoup d’artistes internationaux boudés par les plus grands festivals pleurent leur meilleur avocat, sans oublier les élèves, un pédagogue hors pair ». Il rappelle : «Ilajouéavecdes artistes de renommée internationale comme Georges Benson, David Sandborn, Stéphane Belmondo, Stéfano Di Battista, Richard Galliano, Tony Petruciani… »
Obsèques demain
Les obsèques de Marc Peillon auront lieu demain à Nice à 12 h 30, dans l’intimité familiale, au vu notamment des restrictions sanitaires liées au Covid-19. Sa famille a mis une cagnotte en ligne (2) avec quelques mots : « Marc souhaitait une cérémonie joyeuse, à l’africaine, avec la musique joyeuse qu’il aimait, fidèle à ses convictions dans l’éternité de la vie. À défaut de pouvoir être présent le jour des obsèques, plusieurs personnes ont souhaité pouvoir participer aux frais liés à la cérémonie ou à l’achat de fleurs et ainsi exprimer concrètement son amitié ou sa reconnaissance. C’est l’objectif de cette cagnotte ». D’autres hommages se profilent aussi déjà… En musique, bien sûr.
1. Un forfait permettait l’aller-retour entre Nice et Entrevaux par le train des Pignes.
2. https://www.leetchi.com/c/ceremonie-marc-peillon