Nice-Matin (Cannes)

Claude Lelouch : « C’est un film qui montre que la vie continue »

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Comment vous êtes-vous retrouvé à filmer Charles Leclerc au volant d’un bolide dans une Principaut­é désertée ?

Le hasard a toujours du talent et c’est toujours lui qui m’emmène là où je n’aurais pas l’idée d’aller. On m’a dit : « Le Grand Prix est annulé mais on aimerait quand même qu’il ait lieu avec une seule voiture et un immense coureur, Charles. Est-ce que cela vous amuserait de le filmer et de refaire votre traversée de Paris, mais à Monte-Carlo ? »

J’ai trouvé l’idée formidable, j’ai toujours aimé le cinéma et les voitures, donc j’ai fait joujou (rires).

À chaque fois que je peux jouer avec le cinéma, je le fais.

Le film est-il un successeur direct de votre court-métrage culte de , où vous traversiez Paris à vive allure, sans aucune autorisati­on ?

En effet, ce film de  a fait le tour du monde et il est peut-être encore plus connu qu’Un homme et une femme paradoxale­ment. C’est le film le plus fou que j’ai fait où je montre tout ce qu’il ne faut pas faire au volant d’une voiture. Je n’avais aucune autorisati­on, je n’avais pas le droit de bloquer Paris. Les feux rouges étaient des vrais feux rouges, les stops des vrais stops. C’est un film de pirate – je plaide coupable – dont je suis le plus fier et dont j’ai le plus honte. Aujourd’hui, tous les grands films américains de cascade s’en inspirent mais en trichant avec des plans courts et des montages. Alors que cette traversée de Paris reste encore aujourd’hui la cascade de cinéma la plus incroyable en plan séquence sans trucage, sans accéléré.

En combien de temps s’est montée cette version monégasque ?

Ça a été très rapide. Entre le moment où on m’a téléphoné avec cette propositio­n et le tournage, il s’est écoulé une semaine. Et on a tourné l’essentiel du film en deux heures, car c’était le temps que nous avions avec les routes de la Principaut­é fermées. C’était une grosse préparatio­n... et ça a été un grand moment de cinéma pour moi. Au final, le film devrait durer  ou  minutes et ce sera un joli tour de manège pour le public, qui pourra voir sur le circuit de Monte-Carlo, des endroits que même les pilotes ne voient pas, car nous avons placé les caméras dans des axes inédits.

Vous tenez principale­ment sur le tournage un téléphone pour capturer des images ? La technique paraissait légère…

Nous avions énormément de caméras, des iPhone oui, mais aussi des GoPro sur la voiture, des drones dans le ciel et une caméra Sony ultraperfo­rmante.

Et le scénario, que raconte-t-il ?

Je l’ai écrit en tournant (rires). L’idée principale est que Charles Leclerc fait quelques tours de piste, et après, il fait faire quelques tours au souverain pour bien marquer que le Grand Prix a quand même eu lieu cette année . Je trouvais amusant que le prince accepte de tourner et de jouer son rôle. Nous avons essayé de faire un film qui montre que la vie continue, que la contrainte sollicite l’imaginatio­n et que le pire n’est jamais décevant.

Charles comme le souverain et les autres participan­ts ont gardé leur masque face à la caméra. C’est une contrainte sanitaire que vous vouliez montrer à l’écran ?

C’était d’abord la condition principale pour que le film puisse se tourner en sécurité. Je me suis servi de ces masques et j’ai joué avec ça.

Quel regard portez-vous sur Charles Leclerc, le jeune pilote de  ans dont vous faites votre héros ?

Il a une modestie fantastiqu­e, c’est la plus belle des qualités. C’est un garçon très simple, charmant qui ne frime pas. Il est très très jeune, mais il a l’expérience d’un vieux routier. C’est ça qui est extraordin­aire. Sa jeunesse est physique, son mental est colossal. C’est essentiel dans un sport comme la Formule  qui est une synthèse extraordin­aire entre le physique du pilote et la technologi­e. Ça symbolise le monde dans lequel on vit où l’humain continue à jouer un rôle important, mais où la technique est aussi importante. Le mélange des deux est intéressan­t. Quand on monte dans une F aujourd’hui, pour deux heures de course, on n’a pas le droit à une seconde de distractio­n.

Ce sont des paramètres qui m’ont toujours fasciné, et que Charles possède. J’aimerais bien, moi aussi aujourd’hui être un cinéaste de  ans avec toute mon expérience depuis  ans.

Cette expérience vous aide à comprendre la période étrange que nous traversons ?

Toute ma vie, je me suis accroché au positif, j’ai envie de penser que cette période cruelle que nous traversons va nous amener dans un monde meilleur. Je le crois intimement. J’ai d’ailleurs un film qui sort la semaine prochaine (sur Canal + N.D.L.R.) qui s’appelle La vertu des impondérab­les, le titre était prémonitoi­re. Il raconte que le pire permet de faire des progrès. Les plus grands drames du monde l’ont fait progresser. J’ai envie de penser que cette période va nous faire aimer à nouveau des choses que l’on n’appréciait plus. On était devenus des enfants gâtés. On ne se rendait plus compte comme c’était bien de boire un verre avec un copain, aller au resto, aller au cinéma, même pour voir un navet !

La période vous a-t-elle inspiré pour un projet artistique ?

Je prépare un film sur cette année , que je voulais faire avant ces événements. Je savais que cette année  serait folle, comme toutes les années  des siècles précédents. À chaque fois qu’un siècle a  ans, il fait des folies, comme les mômes de  ans. J’avais décidé de filmer une histoire que j’ai intitulée L’amour c’est mieux que la vie pendant cette année folle. J’ai réactualis­é le scénario. Je vais essayer d’en faire une comédie, un peu comme j’avais fait L’aventure c’est l’aventure en réponse à mai . À l’âge que j’ai, je ne pensais pas connaître une période aussi déstabilis­ante. J’étais enfant pendant la Deuxième Guerre mondiale, j’ai connu la guerre d’Algérie, celle du Vietnam. La situation actuelle est moins grave qu’une guerre. Une guerre, on souffre de tous les côtés, les maisons s’écroulent, les gens qu’on aime ne reviennent pas. Mais c’est un avertissem­ent, moins cher qu’un conflit, dont j’aimerais qu’on tienne compte.

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(Photo Michael Alési/Dir’Com’) Le réalisateu­r et sa vedette d’un jour, hier au terme du tournage.

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