Picasso torée sur la place de Vallauris
Le 1er août 1954, le peintre, qui vivait alors dans la cité des potiers, organise une corrida. Ces duels pacifiques – où les taureaux camarguais ne sont pas mis à mort – se poursuivront quelques années
L'idée, c'est de célébrer la joie, la Elle a la taille fine. Un physique avenant… paix dans le monde et l'amitié… et 27 ans, quand elle rencontre Tout ce que vous voyez ici, Pablo en 1952 qui, lui, accuse nous l'avons fait entre amis ! », chantonne 72 printemps. Il vient d’achever Picasso, avec son délicieux la fresque La Guerre et la Paix accent ibérique. pour la chapelle de Vallauris. Deux Dimanche 1er août 1954 : la fiesta bat ans plus tôt, l’artiste installé sur la son plein sur la place des écoles de commune en 1948 sculptait Vallauris. Quarante-huit heures L’Homme au mouton, que l’on peut d'animations au cours desquelles toujours saluer sur la place Isnard. un charmant petit air d'Espagne Le coup de foudre avec Jacqueline flotte sur la cité des potiers. Des prend place à l'atelier de céramique milliers de personnes déambulent Madoura, là où Picasso s’initie dans les rues. La ville se plonge depuis 1946, à cet art auprès des dans les cris, les rires, aux sons des époux Ramié. orchestres de corrida. Les taureaux La jeune femme lui rappelle « trait camarguais déboulent sur la plaza. pour trait » le modèle tenant le narguilé Les journalistes du monde entier dans Les femmes d'Alger de – le photographe Henri Traverso Delacroix. Amoureux, les tourtereaux dont sont signées ces précieuses et ne se quittent plus. Surtout magnifiques images, en tête – pressent pas en cette belle journée le maître de questions. d’août 1954. « Ça me rappelle mon Pablo, lui, contemple enfance », glisse Picasso le spectacle. à l'oreille de
Un petit air Torse poil, sa belle muse et future
d’Espagne sur l’immense artiste épouse (en mange des 1961, Picasso alors
la Côte d’Azur glaces et signe âgé de 80 ans, repasse des autographes. devant Monsieur Son éternel sourire rivé aux lèvres. le Maire, à Vallauris.) Le peintre fait défiler les souvenirs. Pour une première, c'est un succès Il avait 8 ans. Son père l'amenait ! Ses enfants sont à ses côtés. aux arènes de Malaga, sur la Costa Jean Cocteau, Jacques Prévert applaudissent del Sol, dans le sud de l’Espagne, assister les toréadors. Jacqueline aux corridas. Il avait 8 ans, Roque, sa jeune épouse, toise toujours. Il peignait le premier tableau les jeunes femmes en abhorrant un Le Picador, d’une longue liste. joli tour de cou noir. Torero rouge sang, évidemment. À Vallauris, le sang ne coule pas. Du moins les premières années. La corrida reste pacifique…
‘‘ Sauf pour les 80 ans de Picasso, en 1961. Cette année-là, le peintre parade dans la voiture de Gilbert Valentin, son voisin bohème, potier au Fournas, qui oeuvre dans la galerie en face de l'atelier de Picasso. Avec sa calandre aux allures de museau et ses phares semblables à deux yeux perçants, l'engin a un faux air de taureau. Parfait pour une entrée remarquée dans l'arène.
« Non, je ne suis pas fatigué. Au contraire, cette fête me donne de la vitalité ! », soutient Pablo, dont les apparitions publiques se font de plus en plus rares. Une vitalité sanglante, qui coûtera cher à l'artiste. Malgré l'interdiction préfectorale, le toréador Luis Dominguin tuera une bête, ce mois d'août 1961. Picasso paiera de sa poche l'amende d'un million de francs. Un comble pour celui qui avait l'habitude de confier à son coiffeur, Eugenio Arias (1), que « la corrida est le sport le plus noble du monde. À la corrida, il n'y a pas de compromis entre les adversaires. Au football ou dans le cyclisme, on peut laisser gagner l'autre en échange d'un pot-de-vin. Mais un taureau, on ne peut pas l'acheter. »
Cette fête me donne de la vitalité !”
1. Ses mémoires sont consignées dans le livre Le Coiffeur de Picasso, histoire d’une amitié. De Monika Czernin et Melissa Müller. Actes Sud/Solin. 2003.