Cet amendement qui fâche le monde agricole
Le possible passage de 25 à 50 % d’élus dans les commissions de préservation des espaces naturels suscite une levée de boucliers
Ça m’a rendu malade. Je suis très en colère ! » Au bout du fil, Jean-Philippe Frère, président de la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles des Alpes-Maritimes, est intarissable. L’objet de son courroux ? Un amendement voté par le Sénat juste avant le confinement. Dans le cadre de la loi d’Accélération et de simplification de l’action publique, il vise à porter le nombre des élus locaux de 25 à 50 %, au moins, au sein des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Ce qui y réduirait d’autant la place des autres acteurs, agriculteurs et environnementalistes notamment. La justification de l’amendement est d’ailleurs transparente : « Si les communes et intercommunalités exercent la compétence d’urbanisme, dans les faits elles ont peu de poids dans les avis rendus par les CDPENAF. Ces dernières constituent fréquemment un frein au développement en milieu rural. Instaurer une parité entre élus et organismes permettrait de combattre le sentiment d’impuissance des maires face à des décisions qui leur échappent, sans remettre en cause l’équilibre décisionnel des CDPENAF. »
Instance consultative aux avis très suivis
Créée par la loi d’Avenir pour l’agriculture de 2014, la CDPENAF est un outil de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles, naturelles et forestières. Présidée par le préfet, elle associe des représentants de l’Etat, des collectivités territoriales, des professions agricoles, des associations de protection et des propriétaires fonciers. Elle se réunit pour étudier les documents d’urbanisme, chaque fois qu’une collectivité envisage de remettre en cause des espaces naturels. Certes, cette instance ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel. Elle est uniquement consultative. « Mais dans les faits, souligne Jean-Philippe Frère, c’est un vrai lieu de dialogue et de démocratie. Si le préfet a la voix finale, il la donne en tenant systématiquement compte des avis exprimés par les agriculteurs et les environnementalistes. Et les maires, par peur de recours, ne vont pas à l’encontre des avis exprimés. Neuf fois sur dix, quand il y a des oppositions, ils préfèrent revenir autour de la table en revoyant leur dossier, et tout le monde est content ! »
« Vision sécurisée »
Sa crainte est que la nouvelle répartition vienne chambouler cette harmonie. « Nous voulons être un partenaire incontournable dans la décision sur l’avenir du foncier agricole et forestier, a fortiori à un moment où on nous demande de développer nos productions pour répondre aux besoins de relocalisation », pose le président de la FDSEA 06. Ce qui ne veut pas dire tout figer, insiste-t-il : « Compte tenu du prix du foncier et de la difficulté d’amortissement des investissements, les exploitants agricoles doivent avoir une vision sécurisée. Mais il ne suffit pas de préserver le foncier agricole, il faut aussi le valoriser, en rendant les terres accessibles. »
Courriers à Macron et aux députés
En conséquence, Jean-Philippe Frère vient de se fendre de multiples courriers. Aux sénateurs maralpins d’abord, pour leur dire que le Sénat a fait fausse route en votant l’amendement incriminé. Aux députés du département ensuite, pour les inviter à ne pas commettre la même erreur lorsque le texte viendra en discussion à l’Assemblée. Au préfet, au ministre de l’Agriculture et à Emmanuel Macron enfin, pour l’inciter à mobiliser sa majorité dans le bon sens. « L’urbanisation des dernières décennies a réduit nos espaces agricoles et, malgré la récente prise de conscience d’une nécessaire résilience alimentaire, notre département nous assure une autonomie d’à peine 24 h. Il faut donc impérativement préserver nos terres ! », conclut-il. Par la voix de leur président Adrien Mège, les Jeunes agriculteurs 06 ont eux aussi alerté les députés : «Denouveaux projets trop gourmands en espaces naturels et agricoles mettraient à mal notre souveraineté alimentaire. La CDPENAF est essentielle pour préserver le foncier en vue des nouvelles installations, afin de pérenniser et redynamiser une agriculture primordiale pour notre territoire. »